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de ce cylindre, sont écrites des prières, qui, à mesure que l’instrument tourne sur son axe, apparaissent à l’ouverture. Chaque tour est une prière faite.

Les grands et le prince font tourner la machine par un de leurs serviteurs, et leur compte est en règle avec la divinité.

En sortant du temple, je marche avec Kalino derrière les prêtres, et nous les suivons jusqu’à leurs tentes en feutre blanc, à peu de distance de la pagode ; elles sont entourées d’une enceinte de pieux, et décorées de banderoles de plusieurs couleurs, couvertes de prières en langue sacrée.

Mon carton à dessin me vaut un accueil amical. Il faut montrer à ces pieux personnages les croquis qu’il renferme. Ils me témoignent leur admiration pour un art qu’ils cultivent tous, mais à un autre point de vue ; ils me déroulent plusieurs dessins, faits par eux sur des étoffes et du papier de riz : ce sont des représentations de différents dieux, ou bourkans, très-vénérés des tribus nomades.

On ne me permet pas de toucher à ces œuvres sacrées : ce serait une profanation ; eux-mêmes n’y portent la main que quand ils sont purifiés par de certaines prières. Il y a dans cette collection un assemblage des plus abominables figures qu’on puisse imaginer. Ces dieux sont bons et mauvais, mais, à coup sûr, tous prouvent surabondamment que les Kalmouks ne professent pas le culte de la beauté.

Dans la tente du grand prêtre, sur une espèce d’autel, je remarque une rangée de petites tasses en cuivre fort joliment travaillées ; quelques-unes contiennent du froment, d’autres de l’eau et de petits morceaux de sucre. Une image du Bouddha, sculptée en cuivre ou en or et très-finement ciselée, est posée sur un petit piédestal.

Tout alentour, des images peintes sont tendues et exposées à la vénération des visiteurs.

Pas de lit dans cette kibitka : les prêtres couchent sur des tapis de feutre.

À la grande satisfaction du grand prêtre, je fais un dessin de sa personne et de son costume ; il me le demande avec tant d’instance, que je ne puis le lui refuser.

Nous nous quittons après un long échange de civilités, et je rejoins nos hôtes qui ont commencé à déjeuner.

Le prince a, je ne sais comment, trouvé un cuisinier de mérite ; on nous sert un repas à l’européenne, je dirai même à la française. Les surprises indigènes sont réservées pour le dîner.

Après le déjeuner, on va s’asseoir sous une grande tente entièrement ouverte sur le steppe. La fête qu’on nous destine va commencer par une course.

Une vingtaine de petits chevaux kalmouks assez mal étrillés, mais pleins de feu, les crins un peu hérissés, sont maintenus par la bride. Une vingtaine de jeunes gens de quinze à dix-huit ans se disposent à les monter. Au signal donné, tous les cavaliers se mettent en selle, partent au milieu des cris des assistants, et disparaissent dans le steppe.

Nous les voyons revenir dans une trombe de poussière. C’est un enfant de quinze ans qui gagne le prix, c’est-à-dire une chemise de coton et le cheval qu’il a monté.

L’espace reste libre. La seconde partie de la fête sera une représentation d’une scène de la vie nomade.

À l’horizon nous voyons apparaître, derrière un pli de terrain, toute une caravane cheminant à travers le désert de sable ; on aperçoit les cavaliers avec leurs fusils ou leur lance, des chameaux portant les kibitkas, les meubles, les ustensiles de cuisine et même de très-jeunes enfants suspendus dans des filets ; derrière viennent les chevaux, un troupeau de moutons, les bœufs, les vaches, etc.

Tout cela, après avoir défilé devant nous, s’arrête dans la plaine à une centaine de pas.

Les chameaux s’agenouillent ; puis les cavaliers, hommes et femmes, les débarrassent de leur charge. On commence à dresser les kibitkas.

Ces tentes sont formées de treillages en branches de saule, d’une hauteur de deux mètres sur un de large. La réunion de ces treillages ou claies autour d’une circonférence d’environ cinq mètres de diamètre, forme le mur de l’habitation, solidement consolidé par des pieux fichés en terre. Sur cette muraille légère s’appuient, en guise d’arbalétriers, de longues perches qui aboutissent à un cercle supérieur, laissant entre elles l’espace de l’unique fenêtre et du trou par lequel la fumée doit s’échapper.

Cette construction est recouverte de feutre attaché avec de forts cordages, sauf une porte en menuiserie ajustée avec son bâti entre deux claies.

Un tapis de feutre recouvre le sol, excepté au centre où une place est réservée pour le foyer.

Toutes ces demeures s’élèvent, s’achèvent en un quart d’heure : quelques minutes après, nous voyons la fumée s’échapper par chacune de leurs ouvertures supérieures.

Le prince nous invite à les visiter. — Nous trouvons dans la première une famille qui nous offre le thé. Tout est en bon ordre dans l’intérieur, comme si l’on devait y demeurer plusieurs mois. Les ustensiles sont attachés en haut du clayonnage : nous nous plaisons à regarder tour à tour le lit, les coffres couverts de leur tapis, même les images des dieux suspendues autour de l’habitation, et, au-dessus du foyer, une grande marmite où s’apprête le repas.

Dans la seconde kibitka, semblable à la première, on prépare, au moyen d’un appareil à distiller des plus simples, l’eau-de-vie de lait de jument, que les Kalmouks préfèrent au lait de vache.

Le lait de jument s’aigrit très-facilement, et, donnant plus d’alcool que tous les autres, est plus propre à la fabrication de l’eau-de-vie ; mais ce lait ne peut pas se convertir en beurre.

Nous revenons à notre terrasse.

Au même instant, on éteint les feux, on détache les cordages qui retiennent le feutre sur les tentes, on