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Voici comment se fait cette opération : on se sert d’un gros tamis pour séparer les œufs des peaux et des veines ; on sale l’amas d’œufs dans des auges, on le laisse à peu près trois quarts d’heure dans le sel, on le presse ensuite sur des tamis pour l’égoutter, puis on le foule légèrement dans de petits barils de bois blanc, que l’on bouche avec soin.

On prépare ainsi du caviar salé pour être exporté, et du caviar frais, qui doit être mangé dans un assez court délai.

La chair du poisson est ensuite portée dans un de ces grands magasins qu’on peut appeler des glacières. On nous dit qu’on la tiendra plongée dans la saumure pendant douze heures, puis elle sera salée et transportée en bateau dans la Russie centrale.

Il ne faut pas oublier un produit qui augmente encore le commerce des pêcheries : c’est la colle de poisson, faite avec les vessies et les vésigas.

Ces pêcheries enlèvent annuellement au fleuve une quantité formidable de poissons ; on m’a cité les chiffres suivants : quarante-trois mille esturgeons, six cent cinquante mille sévriongas, vingt-trois mille bélougas.

Aussi d’immenses fortunes se sont-elles édifiées sur le produit des pêches du Volga et de l’Oural. J’ai vu à Tiflis un palais, digne des Mille et une Nuits, élevé aux frais d’un fermier de pêche, qui avait amassé des millions en quelques années.


Le Volga : Pêche de l’esturgeon. — Dessin de Moynet.

Mais la pêche d’hiver est, sans contredit, la plus curieuse et la plus originale de toutes. Il arrive un moment on le poisson est forcé, par le froid, de quitter les bas-fonds pour se réfugier dans des eaux plus profondes. Les pêcheurs prennent grand soin de remarquer ces endroits. De plus, vers la fin de novembre, quand le fleuve se couvre en partie d’une mince couche de glace, les pêcheurs s’avancent un à un, avec précaution, presque en rampant, jusqu’aux lieux où le courant a empêché la glace de prendre ; là, la tête enveloppée d’une étoffe sombre, ils observent le poisson, ses passes, les endroits où il se tient tranquille, et ils prennent note du tout pour en faire leur profit en temps opportun.

Quand, en décembre, la surface du fleuve se congèle pendant la nuit, on voit s’avancer, avant que les blocs de glace ne soient de nouveau disjoints par la chaleur du soleil, de hardis pêcheurs armés d’engins que nous décrirons tout à l’heure ; ils tâchent de harponner, comme spécimen de la pêche future, quelque beau poisson, dont, le caviar est préparé sur-le-champ.

Si le temps est favorable, on se hasarde à capturer quelques belles pièces pour les fêtes de Noël ; mais il est bien rare qu’à cette époque la glace soit assez forte pour permettre une pêche fructueuse.