Page:Le Tour du monde - 15.djvu/420

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

beuses d’Otando, où tout nous sembla lumière et joie après les sentiers obscurs où nous avions marché si longtemps. Une large étendue de pays ondulé se déployait devant nous : au premier plan, la prairie ; au delà, une forêt sans fin, qu’encadrait à l’horizon un long amphithéâtre de hauteurs boisées, le dernier étage et le plus élevé à demi perdu au loin dans une vapeur bleuâtre. Depuis les bords de la forêt, la plaine s’inclinait doucement vers nous, et çà et là des cases légères et des carrés de plantations annonçaient la population. Une jolie rivière aux eaux limpides courait près de la prairie, et se dirigeait au delà des plantations vers le Ngouyaï. Une partie plus serrée de la forêt, d’où s’élançaient des arbres gigantesques et de nombreux palmiers, marquait au loin par une longue ligne à travers le paysage le cours du fleuve qui arrose ces plaines fertiles. »

J’aime ce morceau d’éloquence d’un chef (son nom est Mâyolo) à qui du Chaillu demandait des guides pour le conduire vers la tribu voisine : « Quand un chasseur va dans la forêt à la recherche du gibier, il n’est pas content qu’il ne revienne chez lui avec du gibier. Le cœur de Chaillie ne sera content que quand il aura fait ce qu’il veut. J’ai entendu ce que Chaillie m’a dit. Je suis un homme. Chaillie, l’esprit, est venu vers Mâyolo. Je suis Mâyolo ; il n’y a pas d’autre Mâyolo que moi. Je suis honteux de ce long retard ; j’ai un cœur, et Chaillie poursuivra sa route. Chaillie inspire de la frayeur au peuple. Nous savons tous qu’il est un esprit ; depuis que nos pères sont nés, on n’a pas vu son pareil. On a répandu le bruit qu’il apporte la maladie et la mort partout où il va, si bien qu’on est effrayé de lui. J’ai été malade, mais ce n’est pas lui qui a causé ma maladie ; ce sont des gens qui m’ont jeté un charme à cause des bonnes choses que Chaillie m’a données. J’irai moi-même rendre visite au chef d’Apono. Je lui dirai que Chaillie mange comme nous, qu’il boit comme nous, qu’il joue avec nos enfants, qu’il nous parle à nous et à nos femmes, qu’il nous fait du bien. Je suis Mâyolo ; Chaillie continuera sa route, et son cœur sera content. »


IV

Ce qui restera surtout de ce volume, avec les notes éparses sur la topographie, les tribus et l’histoire naturelle, ce sont des aperçus d’ensemble sur la nature du pays, son aspect et sa configuration. Nous n’en pouvons prendre que quelques traits généraux. C’est un fort bon tableau de cette partie du continent. Il faut laisser parler le voyageur lui-même ; rien ne remplace l’expression personnelle.

« L’Afrique équatoriale, aussi loin que j’y ai pénétré à partir de la côte (environ deux cent soixante milles anglais, ou quatre-vingt-dix de nos lieues communes à vol d’oiseau), est couverte d’une végétation sauvage presque impénétrable. Jusqu’où s’étend dans l’intérieur cette zone de landes boisées et de forêts, c’est ce que pourront seules nous dire les futures explorations. Du point extrême où je me suis arrêté, elle se prolonge à l’est aussi loin que¢mes regards pouvaient atteindre, coupée sur certains points de larges plaines herbeuses, qui semblaient autant d’émeraudes enchâssées dans la verdure plus sombre des grands bois ondoyants.

« Au sein de ces vastes solitudes, l’homme est disséminé en une foule de tribus. Si la forêt n’abrite qu’un petit nombre d’êtres humains, elle est encore plus faiblement peuplée d’animaux. On ne voit ici ni lions, ni rhinocéros, ni zèbres, ni girafes, ni autruches, ni gazelles, aucune de ces grandes espèces, en un mot, qui sont presque partout le fond de la faune africaine. Il n’y a pas non plus de bêtes de charge, ni cheval, ni chameau, ni âne, ni gros bétail. Les seuls animaux vraiment domestiques sont les chèvres et les poules. » Parmi les carnivores, on ne peut mentionner que le léopard, et deux ou trois espèces d’hyènes et de chacals. L’éléphant est devenu rare, et recule de plus en plus vers les profondes retraites de l’intérieur. Les singes sont très-nombreux, ainsi que les reptiles et les grandes araignées. Le monde des insectes fourmille sous toutes les formes. Dans la tribu ailée, il faut citer le perroquet et l’aigle. « Mais l’animal par excellence de ces solitudes boisées, c’est le chimpanzé, ce quadrumane géant dont les Nègres distinguent au moins quatre variétés. Le gorille est la plus grande ; on peut l’appeler véritablement le roi de la forêt. Le chimpanzé, comme tous les autres singes, est un animal frugivore ; il vit de noix, de baies et de fruits, que ces grands bois séculaires lui fournissent durant toute l’année. » Le gorille est pour beaucoup, on le sait, dans les controverses dont la première relation de du Chaillu a été l’objet.


V

Nous ne voudrions pas oublier les autres explorateurs que l’Europe envoie à la découverte des parties encore inconnues de l’Afrique intérieure ; mais nous ne pouvons guère les mentionner aujourd’hui que pour mémoire. Gherard Rohlf, le voyageur allemand, était au Bornou, sur les bords du lac Tchad, à l’époque de ses dernières lettres ; mais ces lettres sont du mois d’août 1866. Il se disposait à partir pour le Mandara, un des pays vus par Barth au sud de Tchad, le grand lac central du Soudan. En attendant, il s’occupait de quelques-unes des langues de cette région, et il comptait, à son retour du Mandara, partir pour le Ouadâi. Le Ouadâi, on le sait, est une grande contrée du Soudan oriental, entre le Tchad et le Darfour. Si le succès a couronné la persévérance du courageux investigateur, il doit être aujourd’hui au milieu de cette terre redoutée dont nous n’avons aucune relation européenne, et où il pourra recueillir des informations certaines sur le sort de Vogel.

Un autre voyageur allemand, qui, depuis deux ans, parcourt l’Afrique australe au sud du Zambézi, vient de faire parvenir en Europe des nouvelles importantes de ses courses de naturaliste et d’explorateur. Le nom de ce nouveau champion de la science est Carl Mauch. Il a sillonné en divers sens le territoire de la nouvelle république de Transvaal, et pénétré fort avant dans les terres