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sur la côte orientale d’Afrique, et connaissant parfaitement la nature du pays et les habitudes de la population indigène. M. Young a aussi été le compagnon du docteur Livingstone dans quelques-uns de ses voyages, et il est en conséquence tout à fait propre à la tâche aventureuse qu’il entreprend. M. Faulkner accompagne l’expédition à sa propre demande et à ses frais.


III

Tels sont les périls trop souvent mortels, et tout au moins les anxiétés dont il faut payer chaque conquête nouvelle dont s’enrichit la géographie. Un voyageur qui, lui aussi, avait ambitionné d’en agrandir le domaine dans une de ses parties les moins abordées, Paul du Chaillu, vient de publier la relation de son second voyage. On en connaissait déjà le résultat, mais non les détails. Aucun de ceux qui suivent avec quelque intérêt la marche des découvertes en Afrique n’ignore le bruit qui s’est fait autour de la première relation du jeune voyageur. Quelques négligences dans la disposition des matériaux, et des inexactitudes d’estime qui n’avaient rien d’étonnant dans une course passablement aventureuse faite sans instruments de précision à travers un pays nouveau, d’autres causes encore d’une nature plus personnelle et qui n’avaient rien à voir avec la science, laissaient à la critique un champ dont elle s’empara avec plus de passion que de justice. On s’appesantissait outre mesure sur ce que le livre pouvait avoir de défectueux, et l’on passait sous silence les qualités naturelles d’observateur et de peintre qui s’y présentent d’une manière vraiment remarquable, — sans parler des services rendus à l’histoire naturelle, — aussi bien que le mérite d’avoir le premier ouvert une voie nouvelle dans un pays jusqu’alors inexploré. Il fallut un certain courage pour se mettre en travers du courant, et celui qui trace ces lignes s’honore d’avoir eu le premier ce courage, bien que d’autres voix se soient ensuite élevées pour la même cause, et au premier rang celle du savant directeur des Mittheilungen, le Dr Augustus Petermann, avec une autorité bien supérieure à la nôtre.

Cependant au milieu de ces polémiques acerbes, et à cause même de ces polémiques, du Chaillu a eu cette rare fortune que son nom a du premier coup acquis une notoriété que n’ont pas toujours eue aussi rapidement des explorateurs du premier ordre. Il a eu aussi, il faut le reconnaître, la sagesse assez peu commune de profiter des critiques, non moins que des éloges, pour se préparer à mieux faire. On sait que le théâtre de son premier voyage fut principalement la partie de l’Afrique équatoriale que baigne l’Atlantique à deux ou trois journées, au sud du Gabon, et où vient se terminer par un large delta, à moins d’un degré de l’équateur, un grand fleuve appelé l’Ogobaï. Nul Européen jusque-là n’avait visité ce fleuve ni les forêts épaisses qui le bordent dans son cours, domaine presque exclusif du redoutable quadrumane qu’on a nommé le gorille. Du Chaillu voulut revoir cette contrée sauvage, pour en mieux étudier la configuration et rectifier la première carte, ou plutôt l’esquisse qu’il en avait tracée. Pour s’y mieux préparer, il consacra plusieurs mois, durant son séjour en Angleterre, à se familiariser avec l’usage des instruments et la pratique des observations astronomiques et physiques.

« Ce n’est pas à moi, dit-il dans sa préface, de juger du résultat de mes efforts dans cette partie importante de l’œuvre d’un voyageur. Tout ce que je puis dire, c’est que je n’ai rien épargné pour rendre mon ouvrage aussi exact que possible ; et quoique j’aie été forcé, à ma grande douleur, de renoncer à la photographie et aux observations météorologiques par suite de la perte de mon appareil et de mes instruments, j’ai été heureusement en état de continuer mes observations astronomiques presque jusqu’à la fin de ma route. » Les observations ont été calculées par M. Edwin Dunkin, de l’Observatoire de Greenwich, et les points déterminés, au nombre de quinze, dont sept pour la longitude, sont consignés dans un tableau. Les altitudes barométriques sont au nombre de trente-neuf. Ce nouveau voyage n’aura pas été, tant s’en faut, inutile à la géographie africaine, quoique sa durée et son étendue aient été beaucoup moindres que du Chaillu ne l’avait projeté. Il ne s’était proposé rien moins que de pénétrer au cœur même du continent en remontant le cours inconnu de l’Ogobaï, et peut-être même d’arriver à la côte occidentale du Tanganîka, ce grand lac central vu pour la première fois par Burton et Speke en 1858, et dont la reconnaissance, dans ses parties du sud et du nord, est un des objets considérables (nous voulons encore parler au présent) de la nouvelle expédition de Livingstone. Comme tant d’autres plans de ce genre, tracés avec la confiante ardeur d’une première conception, celui de du Chaillu est resté infiniment en deçà du but proposé. D’abord, le voyageur n’a pas touché à l’Ogobaï, mais seulement à deux de ses tributaires méridionaux. Il aurait pu rejoiudre plus haut le corps du fleuve, sans l’incident imprévu qui a mis forcément fin au voyage, — un indigène tué par la maladresse d’un des hommes de l’escorte, et l’ameutement des Noirs qui par suite a réduit l’expédition à un sauve-qui-peut général. La ligne suivie ne s’est pas beaucoup écartée, au total, de l’itinéraire de 1859 ; néanmoins elle a poussé notablement plus avant dans l’intérieur, et les déterminations astronomiques dont la nouvelle route est jalonnée lui donnent une sûreté qui manquait tout à fait à l’itinéraire précédent.

Écrit avec plus de circonspection et une tenue plus sévère, le nouveau volume pourrait bien ne pas avoir le même attrait que son aîné pour le gros des lecteurs, mais les éléments d’étude dont il est semé lui donnent une valeur sérieuse dans le rayon qu’il embrasse. Les tableaux de mœurs, les anecdotes et les traits caractéristiques ne font cependant pas défaut dans le récit ; la touche descriptive ne manque pas non plus au voyageur, comme on en peut juger par ce passage : « Enfin, dans la soirée du 24 mars, nous sortîmes du sombre couvert de la forêt pour déboucher dans les plaines her-