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la profondeur, et ne se détournaient même pas pour traverser les lacs.

Cependant les indigènes ne purent enfouir tous leurs trésors, ni cacher aux Espagnols l’existence de leurs mines. Ce devait être là leur vengeance, car ces richesses prodigieuses, loin de profiter aux vainqueurs, furent pour eux une cause de ruine et de corruption. Pendant les trois siècles qu’ils occupèrent l’Amérique méridionale, ils se bornèrent à exploiter les gisements d’or et d’argent. Le travail des indigènes n’ayant pas suffi pour assouvir leur cupidité, ils introduisirent les nègres esclaves. Cependant il n’existe aucun pays où le règne végétal soit aussi riche que dans les contrées voisines de l’équateur, où le sol soit aussi fécond, où les eaux soient aussi abondantes. Mais les Espagnols ont négligé d’étudier les ressources des provinces qu’ils avaient conquises ; ils ont ignoré les noms et jusqu’à l’existence de plusieurs grandes rivières qui auraient pu devenir d’importantes artères commerciales. Attachés uniquement à l’exploitation de l’or, ils n’ont jamais songé à jeter les yeux vers l’avenir et ils ont dédaigné les utiles travaux qui eussent ouvert aux générations futures une source inépuisable de bien-être. L’Espagne, qui se proclamait la reine des deux mers et des deux mondes, n’a su que détruire ; elle n’a rien fondé de grand ni de durable. Mais il vient une heure terrible où la Providence venge les crimes de lèse-humanité. Cette heure inexorable est celle de la grande expiation ; elle arrive quand déborde la coupe de douleur des peuples. Qui pourrait dire que ce ne sont pas les larmes et le sang des nations américaines qui ont déposé dans le sein de l’orgueilleux empire de Charles-Quint les germes d’affaiblissement et de décadence dont nous voyons aujourd’hui les effets ? La race indigène et ses descendants s’unirent à des sujets espagnols que fatiguait eux aussi le joug de la métropole ; tous les Équatoriens se levèrent contre le despotisme du gouvernement castillan, et finirent, à la suite d’héroïques combats, par conquérir leur indépendance. Mais ces jeunes républiques sont, dès leur berceau, entourées de bien des périls, entravées par bien des obstacles ; elles ont à lutter contre de cruels embarras financiers et contre le désaccord des esprits, abaissés par une longue oppression et peu faits encore à l’exercice paisible de la liberté. Le lecteur pourra juger par lui-même de la situation du pays, s’il veut continuer à nous suivre dans une excursion à travers les rues de la ville et interroger avec nous les Quiténiens.


Les églises et les couvents. — La cathédrale. — San Francisco. — La chapelle des Jésuites. — Peinture et sculpture. — Michel de Santiago.

Quito est riche en églises et en couvents. Plusieurs de ces édifices, construits en style mauresque, sont d’une architecture assez remarquable et leur luxe est véritablement merveilleux. La cathédrale dont nous avons donné le dessin en tête de ce récit, et que précède une place ornée d’une fontaine, a des proportions élégantes ; ses voûtes ont de la majesté. La douce lumière qui pénètre à travers les vitraux tempère l’éclat des flots de pourpre et d’or répandus partout avec une profusion féerique ; des bas-reliefs travaillés avec art couvrent les murailles depuis le bas jusqu’au dôme ; ils sont partout revêtus d’une dorure aussi fraîche que si elle datait seulement d’hier ; un fond rouge fait ressortir ces riches sculptures dont le dessin révèle chez l’artiste de l’originalité et du goût. Colonnes, autels, chaire, confessionnaux, tout est richement décoré.

D’autres églises, San Francisco, par exemple, rivalisent de splendeur avec la cathédrale ; le style, l’ornementation intérieure sont à peu près semblables ; mais le fond sur lequel se détachent les bas-reliefs varie de couleur.

La chapelle des Jésuites mérite aussi une mention particulière ; nous y avons remarqué une table de marbre portant une inscription tracée par les académiciens français Bouguer, Godin et la Condamine. On y lit à quels degrés de latitude australe et de longitude occidentale de Paris le temple est situé ; ensuite s’y trouvent gravées sa déclinaison magnétique, son altitude, celle des volcans et des montagnes de la province, ainsi que les autres observations barométriques et astronomiques de l’année 1736.

Ces monuments religieux sont la seule trace durable que les Espagnols aient laissée de leur passage ; encore les temples du Dieu d’amour ont-ils été souillés par les exactions à l’aide desquelles ils ont été construits.

On peut presque s’étonner de voir comment s’est perpétué chez les Quiténiens le goût des beaux-arts. Les sciences, l’industrie ont toujours végété à Quito, mais on y cultive avec patience la peinture et la sculpture ; l’école Quiténienne a été et est encore une des principales ressources du pays. Les œuvres de ses artistes sont généralement du genre religieux, et il s’en fait un commerce considérable dans toute l’Amérique. Quelques-unes ont un certain mérite, mais la plupart, tombées dans le domaine de la spéculation, se recommandent surtout par le bon marché.

Cette école néanmoins a eu des maîtres d’un talent incontestable ; elle serait peut-être devenue célèbre si la pauvreté du pays eût permis d’encourager convenablement les artistes.

Dès le dix-septième siècle, un métis nommé Miguel de Santiago, acquit à Quito une grande réputation. Né avec le génie de la peinture, il sentit sa vocation à la vue d’un chef-d’œuvre : « Et moi aussi, je suis peintre ! » s’écria-t-il comme le Corrége. L’état peu avancé de son pays lui opposait cependant de sérieuses difficultés ; il lui fallut inventer une nouvelle manière de préparer les toiles, composer ses couleurs, fabriquer ses brosses, etc. Rien ne rebuta sa patience, et grâce aux habiles procédés qu’il employa, ses œuvres ont résisté à l’action destructive du temps. Le naturel du dessin, une certaine pureté des formes, l’expression des figures, la vivacité du coloris charment encore aujourd’hui les voyageurs qui visitent Quito ; on ne peut même se défendre de