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dans des circonstances curieuses et qui peignent assez le pays.


Dracæna (voy. p. 376). — Dessin de Faguet.

R… était un commerçant qui avait obtenu de l’amitié d’Oubié la concession d’une grande partie d’Asmara en fief, et il s’y était fait bâtir une maison dont les ruines existent encore. Non content de cette seigneurie, il avait envahi des terres appartenant à Engoraddi, et avait brutalement refusé toute satisfaction aux réclamations très-modérées de ce gentilhomme influent. Fort de la faveur d’Oubié, il pensait pouvoir braver éternellement l’hostilité des indigènes, et il le put en effet jusqu’au jour où l’étoile de son protecteur pâlit devant celle de Théodore. Il dut alors se rendre un compte plus vrai de la situation, réunit à la hâte ses ressources et prit la route de Massaoua, cédant le terrain à Engoraddi, qui avait pris parti pour le négus.

À quelques heures d’Asmara, il fut assailli par deux cents Chohos qui pillèrent ses effets et l’assassinèrent à moitié, malgré la résistance héroïque de la belle madame R…, qui, armée d’un pistolet, blessa un ou deux assaillants. R…, emmené prisonnier à Asmara, ne fut relâché qu’en promettant de n’exercer aucun recours contre ses spoliateurs. En me faisant des avances, Engoraddi tenait à me prouver que sa conduite envers R… était une vendetta privée et nullement une hostilité de parti pris contre les Européens. Les détails postérieurs que j’ai eus sur cette affaire m’ont d’ailleurs convaincu que toute la provocation avait été du côté de l’Italien.

Asmara n’est pas et n’a jamais été le chef-lieu de la province, qui s’appelle Hamazène ou Hamacen ; dans M. Livio Sanuto et la plupart des anciens auteurs, elle est appelée Einacen. La capitale ancienne était Dobaroa ; aujourd’hui c’est Tsazega (Sahazagao de Ferret et Galinier), jolie bourgade admirablement située et que son prince actuel, Dedjaz-Haïlou, l’un des favoris de Théodore II, a agrandie et dotée d’un marché important.

Le commerce des chevaux et des mules enrichit Tsazega et toute la province ; les maquignons du Taka et du Barka y affluent, les uns par la plaine de Ghegher, près de Zad-Amba ; les autres par la route plus longue, mais un peu plus facile, de Keren (voy. mon Voyage en Nubie, liv. 268-271).

Le lendemain matin nous partîmes de bonne heure, et dix minutes après avoir quitté Asmara nous arrivions au bord de la rampe dont j’ai parlé et où nous quittions le pays haut, plat, dénudé, pour le fouillis de montagnes et de vallées boisées qui devaient nous mener à Massaoua. Rien n’égale le soulagement que nous éprouvâmes en nous engageant sur ces pentes rapides et en voyant disparaître l’épée de Damoclès qui pendait sur nos têtes depuis un mois sous la forme d’un contre-ordre possible du maître capricieux de Gondar.

Nous avions encore à voyager deux jours dans