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la basse : les mahométans occupent la basse. Tout ce qui vient en Éthiopie par la mer Rouge passe par Duvarna. Cette ville, qui a environ deux lieues de circuit, est comme le bureau et le magasin général des marchandises des Indes. Toutes les maisons sont bâties de pierres carrées, elles ont des terrasses au lieu de toits.

« La rivière de Meraba (Mareb), qui passe au pied de cette ville, se jette dans le Tekessel (Takazzé) ; elle est peu large mais fort rapide, et on ne la peut passer sans danger. »

On a vu plusieurs fois en quelle estime je tiens le savant et modeste Poncet, mais ici ma confiance en sa véracité est mise à une rude épreuve. Je ne sais comment expliquer ce périmètre de deux lieues qu’il donne à Dobaroa : Gondar même n’en eut jamais la moitié.

Quant aux renseignements d’Alvarez, ils sont d’une vérité à laquelle je ne puis assez rendre témoignage. Cependant, je dirai que son rocher fort haut n’est qu’un faible monticule : sur ce qu’il dit de l’abondance du gros et du menu gibier, je ferai chorus, en faisant toutefois observer que le pays dont la nudité est aujourd’hui frappante n’était pas sans doute aussi déboisé au temps d’Alvarez, et nourrissait un bien plus grand nombre de bêtes fauves.


Gamé (brave à trois poils) (voy. p. 356). — Dessin de Émile Bayard d’après M. Lejean.

Je partis le lendemain matin, et à dix minutes de la bourgade je passai un torrent qui porte le même nom qu’elle et qui s’est creusé un lit assez profond dans les terres rouges et friables. On la confond souvent (comme l’a fait Poncet) avec le Mareb, qu’elle va rejoindre un peu plus bas, et que je ne passai que vers les dix heures, non loin de sa source, dans un pli de terrain sauvage et pittoresque. Ce n’était qu’un mince filet d’eau claire, mais il suffit de voir les ondulations du terrain pour comprendre qu’à la saison des pluies il doit rassembler une certaine masse d’eau et devenir le fleuve dangereux dont parle le voyageur que j’ai cité.

De là jusqu’à Asmara je fis une étape et demie à travers un pays fertile, assez populeux, mais nu et laid : richesse et vulgarité, en matière de sol, vont souvent ensemble : témoin notre Beauce, ou la moitié de la Belgique. Ce n’est pas dire, d’ailleurs, qu’en fait de paysage, la vulgarité et la pauvreté ne puissent marcher d’accord : j’en ai tout récemment vu l’association la plus fraternelle dans le pays le plus surfait du monde, le très-haut, très-faux, très-gueux et très-orgueilleux pays de Perse.


XXXVI


Asmara. — Le bahar-nagach Engoraddi. — Un mot sur Trazega. — Je quitte le Tigré et je descends vers le Vamhar. — Beauté du désert. — Le Bizan.

Asmara est situé sur le rebord même du plateau tigréen, et par conséquent sur l’extrême limite de l’empire. C’est la résidence actuelle du Bahar-nagach (roi de la mer), titre fort pompeux accolé aux modestes fonctions d’une sorte de choum ou petit chef, qui relève lui-même de Haïlou, prince de Hamazène. Le bahar-nagach actuel est un certain Engoraddi, qui, dès que je fus installé, vint me voir et me fit apporter fort gracieusement un mouton gras, présent d’autant plus appréciable que nos gens mouraient de faim. Il eut le tact de ne me rien demander en échange, mais me fit comprendre que je le rendrais fort heureux si je pouvais lui laisser quelques capsules. Je n’en avais pas, mais je lui promis de lui en envoyer de Massaoua, et cette promesse que j’ai remplie huit jours plus tard, a dû le rendre bien heureux. J’ai gardé un bon souvenir de ce gentleman aux manières dignes, ouvertes et cordiales.

Engoraddi, à part ses bonnes dispositions naturelles, avait un motif particulier pour se montrer agréable envers moi. Il avait eu, plusieurs années auparavant, un démêlé assez grave avec un Italien nommé R…,