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officielle qui lui semble devenir insultante pour sa dignité. Il porte plainte à son chef, Ando no Kami, ministre des affaires étrangères, et le prie d’aviser à ce que M. Heusken soit expulsé du Japon.

Éconduit par le ministre, il consulte les membres de sa famille et ses amis. Tous conviennent que sa naissance et son titre ne lui permettent pas de survivre à un pareil affront, et le fier gouverneur s’ouvre le ventre en leur présence.

Les assistants, de leur côté, savent ce qu’il leur reste à faire. L’insouciant Heusken, passant, de nuit, sur un pont de Yédo, tombe sous le fer d’une bande de conjurés, dont la vue seule a fait fuir son escorte de yakounines. Quant au ministre Ando, il ne sort que de jour, bien accompagné, l’œil au guet, et la main sur la poignée de son sabre, tout préparé à sa droite, au fond de son norimon. Aussi, à l’instant même où les conjurés se montrent, il est dehors et debout, excitant ses gens à faire benne contenance, et leur donnant lui-même l’exemple de la bravoure. Les assaillants se dispersent, laissant sur le terrain leurs morts et leurs blessés. Dès ce moment le débat était clos, la querelle vidée, l’opinion publique satisfaite, et la famille d’Oribe n’avait plus qu’à se tenir coi, ce qu’elle n’a pas manqué de faire.

Le suicide prescrit d’office remplace la condamnation à la peine capitale que peut encourir un noble japonais, soit de la part de ses pairs quand il a forfait à l’honneur de sa caste, soit par ordre du Taïkoun quand il s’agit du crime de haute trahison.


La toilette d’un Yakounine. — Dessin de Crépon d’après une esquisse japonaise.

La procédure, le jugement, l’exécution de la sentence sont entourés d’une grande solennité. On dresse pour la circonstance, dans quelque retraite de la citadelle, une vaste toiture de planches, soutenue par quatre piliers, et l’on entoure cet abri d’une cloison de bambou, revêtue, à l’intérieur, de tentures en étoffe de soie blanche. Des hommes d’armes font bonne garde autour de l’enceinte. Aux deux extrémités de celle-ci, une porte donne accès à l’accusé, accompagné de deux amis ou témoins, de son choix, et de ses défenseurs juridiques ; et l’autre, à ses accusateurs et à ses juges. L’accusé, vêtu de blanc, ainsi que ses témoins, s’accroupit au milieu d’eux, sur un tapis blanc bordé de rouge, en face de ses accusateurs, qui prennent place sur des pliants. Les juges s’accroupissent à leur gauche et à leur droite. Les défenseurs se tiennent debout, à une respectueuse distance. Les uns et les autres sont en costume de cérémonie. Seul, un personnage debout derrière l’accusé garde une tenue militaire et le grand sabre passé à sa ceinture. Il a reçu l’ordre de trancher la tête à l’accusé, si celui-ci, aussitôt la condamnation prononcée, hésitait à mettre fin lui-même à ses jours.

L’instrument du supplice est, jusqu’au moment fatal, dissimulé derrière un paravent ; c’est un long couteau à lame effilée, muni d’un manche à forte poignée. Chaque samouraï apprend, dès sa jeunesse, quelle est au juste la place où il faut plonger cette lame tout entière pour recevoir le coup mortel et perdre connaissance presque instantanément. À côté du plateau qui supporte l’instrument, sont rangés une coupe de saki, posée sur un second plateau, un seau tout rempli d’eau, et un grand baquet vide, que l’on glisse sous la victime au moment ou elle tombe la face contre terre.

Lorsque la cause a été régulièrement débattue, le jury se retire derrière un paravent pour prononcer son arrêt ; et dès qu’il rentre en cour, l’accusé se prosterne pour entendre la lecture de la sentence.

On assure qu’il est extrêmement rare qu’un samouraï condamné au suicide témoigne la moindre faiblesse dans l’accomplissement du hara-kiri.


Le quartier du gouvernement.

Bien que Sourougats renferme une vingtaine de palais armoriés, il n’a pas le cachet aristocratique du quartier de Kouroda. Les maisons bourgeoises, les habitations d’employés subalternes, les écoles militaires, les greniers à riz envahissent les abords des palais ; et les belles échappées de vue qui s’ouvrent sur le Castel et sur les rives populeuses de l’Ogawa détournent l’attention des monotones résidences seigneuriales.

Avant de visiter la Cité marchande, et comme pour