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apostoliques. Devenus sujets du roi d’Espagne, les Umaüas de São Pablo furent réunis dans la Mission de San Joaquim d’Omaguas, que le P. Samuel Fritz, de l’Ordre de Jésus, fonda à leur intention[1].

Un seul voyageur, La Condamine, a touché quelques mots de cette Mission de San Joaquim, où il fit échelle à son retour de Quito et qu’il trouva très-florissante. À São Pablo, où s’arrêta également cet académicien, il ne vit, et nous l’apprend sans s’en douter, ni Umaüas, ni Cambebas, mais seulement des Omaguas. Le nom patronymique de ces indigènes et le surnom de Têtes-Plates que leur avaient donné les Tupinambas et les Portugais, s’étaient effacés au contact d’Espagne-Pérou.

La mode des têtes aplaties fut longtemps en honneur parmi la population de São Pablo. Les mères entouraient de coton le front des nouveau-nés, le pressaient entre deux planchettes et augmentaient cette pression jusqu’à ce que l’enfant fût en état de marcher seul. Tout jeune encore et s’exprimant à peine, le sujet était déjà en possession d’un crâne oblong qui figurait une mitre d’évêque. Cet aplatissement gradué de la boîte crânienne agrandissait l’arcade sourciliaire et donnait aux yeux un relief surprenant. Quant à l’intelligence, si elle élit domicile, comme d’aucuns l’assurent, dans les lobes du cervelet, la malheureuse, ainsi pétrie et comprimés, ne pouvait que vivre à la gêne, comme ces prisonniers qui vieillissaient courbés en deux sous les Plombs de Venise. Or, comment concilier son atrophie probable avec la vivacité d’esprit qui caractérisait les Umaüas et l’aptitude qu’ils déployaient, dit-on, dans les arts manuels[2] ?

Le temps et le contact des Espagnols qui continuaient leurs maraudes sur l’Amazone, abolirent insensiblement chez les Omaguas de So Pablo la coutume de s’aplatir le crâne. Un jour vint ou les têtes oblongues ne furent plus de mode, au grand récri de ceux qui les avaient en poire, et se virent contraints de les garder ainsi jusqu’à leur mort. Tandis que la jeune génération portait sa tête au naturel, les adultes et les vieillards enrageaient sous cape de ne pouvoir retirer à la leur sa figure piriforme. Le dernier Omagua a tête mitrée mourut à São Pablo d’Olivença, il y a soixante-huit ans.


Ruines d’un lavoir à São Pablo d’Olivença.

Cette abolition de la forme traditionnelle des têtes chez les Omaguas, fut bientôt suivie d’une diminution notable de ces indigènes. Jeunes et vieux moururent par douzaines ; certains virent dans cette mortalité un juste châtiment du mépris qu’on faisait des antiques coutumes ; d’autres l’attribuèrent à la petite vérole qui sévissait alors et étendit ses ravages à plusieurs tribus. Pour renforcer la famille Omagua, singulièrement amoindrie par cette épidémie, les Portugais lui adjoignirent des Indiens Cocamas, Yuris, Ticunas et Mayorunas, tirés des rivières voisines. Pauvres Omaguas, qui eût pu croire qu’un jour viendrait ou ils seraient forcés de fraterniser avec ces Ticunas et ces Mayorunas qu’ils haïssaient tant autrefois !

La cachet physiognomonique et distinct de ces quatre tribus, dénaturé par le croisement de leurs indigènes, n’est plus reconnaissable aujourd’hui dans le masque hybride d’une partie des habitants de São Pablo. Le

  1. Ce père Samuel Fritz, d’origine allemande, est l’auteur d’une carte de la contrée dont nous avons en temps et lieu signalé les erreurs.
  2. C’est aux Omaguas qu’on attribue l’idée première de préparer la sève du ficus et de l’hevœa qu’ils appelaient cahechu et dont nous avons fait le mot caoutchouc. Avec ce lait gommeux ils fabriquaient des seringues en forme de poires, des canules, des sandales, des bracelets et autres objets. Comme les races de l’hémisphère nord, ils usaient du sac-tunique ou ichcahuepilli, qu’ils tissaient avec du coton et ornaient de broderies de plumes. À l’exemple des Quechuas, ils se servaient de la fronde avec beaucoup d’adresse ; mais leur fronde n’était qu’un bâton fendu à son extrémité et dans la fente duquel ils plaçaient une pierre.