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qui se présentent comme les avant-postes du golfe de Yédo.

L’une d’elles, Myakésima, se distingue par une haute et large sommité recouverte de neiges éternelles. Le soleil se lève, et nous offre dans les brumes marines de l’horizon cette image d’un globe écarlate, qui forme sur un fond blanc les armes nationales du Japon.

Ses premiers rayons éclairent le cap Idsou, sur la grande terre de Nippon, à bâbord, tandis que nous voyons fumer au nord-est les deux cratères de l’île d’Ohosima.

C’est au fond d’une anse découpée dans le promontoire d’Idsou qu’est située la ville de Simoda, la première mais la moins importante des places commerciales que l’on rencontre en remontant le golfe de Yédo. Les Américains avaient obtenu l’autorisation d’y créer un établissement en 1854. Un tremblement de terre a dès lors bouleversé le sol de la rade de Simoda, et il n’a plus été question de cette ville dans les traités de 1858.

On découvre sur la côte une quantité de bateaux de pêche et l’on voit passer aussi de plus fortes embarcations à deux ou trois voiles qui se rendent de la terre de Nippon aux îles environnantes. Ce tableau, plein d’animation, est ruisselant de lumière et présente une remarquable harmonie de couleurs : le ciel est vaste et d’un azur splendide ; la mer, verdâtre, n’a plus les tons sombres des grandes profondeurs, et elle possède encore toute la limpidité qui la caractérise sur les côtes rocheuses du Japon. Les îles sont parées des brillants feuillages du printemps ; le brun sévère des rochers est nuancé de riches teintes d’ocre, et les blanches voiles des barques indigènes, ainsi que le névé de Myakésima et la fumée des cratères d’Ohosima achèvent de donner de la vivacité à cette belle scène de marine.

Une rue de Benten-Tori, à Yokohama. — Dessin de Thérond d’après un croquis de M. A. Roussin.

Après avoir dépassé l’île du volcan, ou nous avons aperçu des collines boisées, des champs cultivés et même des villages, nous doublons le cap de Sagami, et nous entrons dans un bassin resserré du golfe de Yédo, que l’on appelle le canal d’Uraga. C’est le nom de la ville où s’est arrêtée l’escadre du commodore Perry, en 1853. Dans cette première visite l’envoyé américain exposa le but de sa mission aux délégués du gouvernement japonais, et leur remit la lettre dont il était chargé pour le Taïkoun, de la part du Président des États-Unis. En même temps il leur annonça qu’il reviendrait l’année suivante chercher la réponse. À son retour, en 1854, résistant aux sollicitations du gouverneur d’Uraga, qui avait l’ordre de retenir devant ce port, par les voies de la persuasion, l’escadre américaine, le commodore passa outre pour exercer une salutaire pression sur la cour de Yédo. Toutefois, ne voulant pas froisser outre mesure les susceptibilités nationales, il évita de pousser jusqu’à la capitale et jeta l’ancre à douze kilomètres au sud de Yédo. Six semaines plus tard, c’était le 31 mars 1854, il signait le traité de Kanagawa, qui a inauguré les nouvelles relations du Japon avec le monde occidental.

Aujourd’hui les dénominations de divers points des parages où nous nous trouvons, consacrent le souvenir de la glorieuse mission américaine. Au-dessus d’Uraga est la baie du Susquehanna ; en face, sur la côte orientale, le cap du Saratoga, et plus haut, sur la côte occidentale, la baie du Mississipi. Ces noms sont ceux des trois principaux navires de l’escadre des États-Unis. L’île Perry et l’île Webster, sur la côte occidentale, perpétuent la mémoire du commodore et celle de l’illustre secrétaire d’État américain, qui fut l’organisateur et l’âme de l’expédition.

En avant du cap Saratoga, un banc de sable, qui a été souvent l’occasion de sinistres maritimes plus ou moins graves, ne laisse plus à la navigation qu’un chenal de six milles de large. Mais bientôt l’on entre dans la baie