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rot donne la description de cette danse dans sa curieuse Orchésographie.

Le nom du Zapateado est resté populaire, et ce pas, un des plus connus parmi ceux de l’Andalousie, se danse encore fréquemment et obtient toujours un grand succès, car s’il a subi avec le temps bien des altérations, il n’a rien perdu de sa grâce primitive.

La Gira peut compter parmi les danses les plus anciennes : une personne se plaçait au milieu d’un cercle qu’on traçait sur le sol, et dont elle devait faire vivement le tour sans en sortir ; la difficulté consistait à jouer en même temps avec des épées, à tenir des plats en équilibre ; quelquefois même le danseur devait garder sur son front un verre plein d’eau sans en répandre une seule goutte ; le tout en dansant sur une seule jambe : l’autre jambe, dit Antonio Cairon, devait rester en l’air, et le danseur s’en servait comme d’une rame pour tourner sur lui-même.

La Danza prima est également une des danses les plus anciennes ; on la dansait en rond, en se tenant par les mains et en chantant ; elle s’est conservée jusqu’à nos jours parmi les Asturiens et les Gallegos ou Galiciens. El Bizarro, originaire du royaume de Grenade, fut, dit-on, le prototype d’une danse qui obtint plus tard un succès extraordinaire, le fameux Fandango. Quant à la Paisana et à la Gallarda, la première était, comme son nom l’indique, une danse villageoise, et les mouvements en étaient des plus simples ; la Gallarda devait son nom à sa vivacité. Outre la Paisana, il y avait encore El Villano, ou la danse du Vilain ; on l’exécutait en frappant alternativement ses mains l’une contre l’autre et contre ses pieds ; on prenait en outre diverses postures, et on s’asseyait de temps en temps sur le sol. Dans la Palmadica, chaque danseuse élevait en l’air sa main ouverte, et le danseur frappait une palmada dans la main de celle qu’il choisissait pour sa partenaire.

Une danse assez curieuse, fort en vogue dans les Castilles au temps de Cervantès, c’est la Danza de Espadas, la danse des épées. Covarrubias nous a conservé la description de ce pas guerrier : les danseurs portaient des gregescos de lienzo, espèce de caleçons de toile très-larges, et entouraient leur tête d’un tocador ou mouchoir roulé. Chacun d’eux tenait à la main une espada blanca, une épée blanche, c’est-à-dire bien affilée[1] ; après avoir fait toutes sortes de tours et de détours, ils arrivaient à une mudanza ou figure qu’on appelait la degollada, — la décollation : alors chaque danseur dirigeait son épée vers le cou de celui qui conduisait la danse, et au moment où l’on aurait cru qu’ils allaient lui trancher la tête, celui-ci, par un mouvement rapide, baissait le cou et leur échappait subitement.

Cervantès a décrit cette danse a propos des noces de Gamache le Riche :

« On vit entrer plusieurs chœurs de danses de différents genres, notamment une troupe de danseurs à l’épée, composée de vingt-quatre jeunes gars de bonne mine, tous vêtus de fine toile blanche, et coiffés de mouchoirs de soie de différentes couleurs. Ils avaient pour chef un jeune homme agile, auquel un des laboureurs demanda si quelques-uns des danseurs s’étaient blessés : « Aucun jusqu’à présent, grâce à Dieu, répondit le chef des danseurs : nous sommes tous sains et saufs. » Aussitôt il se mit à former une mêlée avec ses compagnons, faisant mille évolutions, et avec tant d’adresse, que Don Quichotte, tout habitué qu’il fût aux danses de ce genre, convint qu’il n’en avait jamais vu de mieux exécutée. »

C’est surtout dans le royaume de Tolède que cette danse était en usage ; probablement à cause de la grande renommée que ce pays avait à cette époque pour la fabrication des armes blanches. La danse des épées est abandonnée depuis bien longtemps, mais le souvenir en est toujours populaire, car lorsqu’on veut parler d’une querelle de famille, on dit encore aujourd’hui : c’est une danza de Espadas !

Les Arabes et les Mores d’Espagne eurent aussi leurs danses : le nom des Zambras et des Leylas est resté célèbre dans le pays ; c’étaient les danses conservées pour les jours de fêtes, pour les noces et les réjouissances. On attribue généralement une origine moresque aux Cañas, chansons populaires espagnoles destinées a accompagner la danse, et qui sont considérées comme la première souche des poésies de ce genre, chantées par les Andalous sur un ton plaintif et mélancolique. On pense que c’est dans le mot arabe gaunia, chant, qu’il faut chercher l’étymologie de Caña. Les Mores qui, après la conquête de Grenade, étaient restés dans ce royaume et dans celui de Valence, avaient conservé les chants et les danses de leurs ancêtres ; on sait combien de persécutions ils eurent à souffrir de la part des vainqueurs ; on alla jusqu’à leur interdire, par ordonnance royale, les leylas et les zambras qu’ils chantaient et dansaient au son des dulzaynas (bautbois) et des añafiles (trompettes) ou du laud — la guiterne moresche dont parlent nos auteurs du moyen âge. Mais les chants s’étaient gravés dans la mémoire du peuple, et aujourd’hui encore, il n’y a pas d’endroit retiré, pas de montagne inaccessible d’Andalousie où l’on n’entende, dans les chaudes nuits d’été, les paysans ou les serranos répéter des airs d’origine moresque, tels que les Rondeñas ou les Malagueñas.

Ces deux noms s’appliquent également à des danses nationales : la plus connue et la plus caractéristique est la Malagueña del Torero. Pendant notre séjour à Malaga, nous eûmes plusieurs fois l’occasion de voir la Malagueña del Torero merveilleusement exécutée, et Doré fit un charmant croquis de cette danse, où se rencontrent toute la grâce et tout le brio des boleras andalouses.

Mais revenons aux danses purement espagnoles. Vers le milieu du dix-septième siècle, sous le règne fastueux de Philippe IV, le luxe de la scène prit un très-

  1. On appelait ainsi en Espagne les épées d’acier poli, qu’on portait à la ceinture dans leur fourreau, par opposition aux espadas negras ou épées noires, qui n’avaient ni poli ni tranchant, et dont on se servait pour l’escrime.