Un grand nombre d’auteurs latins se sont plu à célébrer les grâces et l’habileté des danseuses espagnoles d’autrefois.
Martial, qui était Espagnol, comme on sait, n’oublie pas dans ses épigrammes les séduisantes danseuses gaditanes, célèbres dans le monde entier et si recherchées à Rome. Les élégants de la grande ville se plaisaient, dit-il, à fredonner les chansons de la folâtre Cadix, — jocosæ Gades, — ville très-corrompue, si nous en croyons le poëte de Bitbilis[1], qui vante la grâce de Telethusa, une danseuse fort à la mode de son temps.
Plus loin, Martial décrit en deux vers, qui sont absolument intraduisibles, car
… le lecteur français veut être respecté,
la danse de la Puella gaditana, de la jeune fille de Cadix.
Pline le Jeune, dans une lettre à Septicius Clarus, nous apprend que de son temps une fête n’aurait pas été complète si on n’avait fait venir des danseuses andalouses : après avoir reproché à son ami d’avoir manqué à la promesse qu’il lui avait faite d’assister chez lui à un repas frugal ; « mais, ajoute-t-il, vous avez préféré, chez je ne sais qui, des huîtres, des poissons rares et des danseuses gaditanes. »
Pétrone, l’arbitre des élégances, n’a pas oublié, dans son Satyricon, les séduisantes filles de Gades ; Silius Italicus, Appien, Strabon et bien d’autres qu’il serait trop long de citer, ont vanté l’habileté chorégraphique des gaditanes.
Ces danses de l’antique Grades, qu’un auteur allemand, Huber, appelle la « poésie de la volupté » (Die poésie der wollust), doivent être probablement de celles que nous voyons représentées sur quelques-uns des monuments de l’époque romaine qui sont parvenus jusqu’à nous.
Un auteur anglais a prétendu que la fameuse Vénus Callipyge n’était autre, sans aucun doute, que la reproduction exacte d’une danseuse gaditane célèbre à Rome, et, ajoute-t-il, probablement l’image de Telethusa elle-même, cette ballerine chantée par Martial, et dont nous venons de parler.
Le chanoine Salazar, qui vivait au dix-septième siècle, affirme dans ses Grandezas de Cadix que les danses andalouses de son temps n’étaient autres que celles si célèbres dans l’antiquité. Le P. Marti, doyen d’Alicante, connaissait à fond les danses en faveur de son temps à Cadix, et qu’il appelait délices gaditanes, delicias gaditanas : si nous l’en croyons, c’étaient bien aussi les danses anciennes, mais très-perfectionnées, à tel point, que celles-ci et même la fameuse chordaxa phrygienne ne devaient être auprès que de simples bagatelles.
D’autres savants non moins graves ont daigné s’occuper, même en latin, des danses espagnoles, et étudier les rapports que celles-ci pouvaient offrir avec celles qui passionnaient tant les Romains ; c’est ainsi qu’ils ont retrouvé dans la crissatura le fameux meneo ; le lactisma n’était autre que le zapateado, dont le nom indique que la danseuse frappe le sol du pied, ou le taconeo, quand des coups de talon, appliqués en cadence, servent à marquer la mesure ; et ainsi de suite, car nous n’en finirions pas si nous voulions entrer dans les détails techniques, sur lesquels cependant de graves théologiens n’ont pas dédaigné de s’appesantir.
Une particularité qui montre combien les danses andalouses d’aujourd’hui offrent de rapport avec les anciennes danses gaditanes, c’est l’usage des castagnettes qui s’est perpétué, sans beaucoup de changements, pendant près de deux mille ans. De nos jours, comme autrefois, les castagnettes font essentiellement partie de la danse, surtout de la danse populaire ; car les castañuelas sont assurément nue des cosas de España, — une des choses espagnoles par excellence. C’est à ce point qu’un de nos vaudevillistes a pu faire adresser par un de ses personnages cette interpellation à un Hidalgo dont la nationalité est mise en doute :
« Vous êtes Espagnol ? Montrez-moi vos castagnettes ! »
Ce n’était pas, du reste, la première fois qu’un de nos compatriotes osait tourner en ridicule cet instrument bavard et bruyant : un voyageur du dix-septième siècle nous apprend que les Espagnols avaient déjà, de son temps, une prédilection marquée pour les castagnettes :
« Ils sont extrêmement amoureux, dit-il, de jouer d’un instrument qu’ils appellent castañetas, et qui ressemble fort aux cliquettes des gueux de nostre pays, n’estimant pas d’harmonie plus douce. »
Les crotalia des anciens étaient, sauf très-peu de différence, le même instrument que la castañuela espagnole : ils étaient également composés de deux parties creuses, qui, frappées l’une contre l’autre, produisaient un bruit sec ; la forme et la dimension étaient à très-peu de chose près les mêmes. Il est vrai que les crotalia étaient plus souvent en bronze, mais on en faisait aussi en bois comme aujourd’hui.
Il paraît que les dames romaines, au temps de l’Andalous Trajan, se plaisaient à jouer de cet instrument ; elles arrivaient même, sous ce rapport, à un luxe tellement insensé, qu’elles choisissaient, pour faire fabriquer leurs crotalia, des perles d’une grosseur extraordinaire et de la forme d’une amande. C’est Pline le Jeune qui nous l’apprend : « Elles les perçaient, dit-il, dans la partie supérieure, de manière à pouvoir les suspendre à leurs doigts et à leurs oreilles, et trouvaient un grand plaisir à entendre le son que rendaient les perles en se heurtant ; elles appelaient ce passe-temps faire des crotales, — facere crotalia. » Que diraient de cette fantaisie les boleras actuelles de Séville, de Cadix ou de Malaga, qui croient avoir atteint le dernier degré du luxe, quand elles ont ajouté un cordon de soie, orné de quelques fils d’or et d’argent, à leurs modestes castagnettes d’ivoire ou de bois de granadillo ?
Un auteur espagnol du siècle dernier déplore la fécondité de ses compatriotes, qui de son temps se mêlaient d’écrire sur tous les sujets, jusque sur les cas-
- ↑ Bitbilis, patrie de Martial, était une ville des Celtibères qui porte aujourd’hui le nom de Calatayud.