Le costume des Nazarenos consiste aujourd’hui en une grande caperuza, espèce de grand capuchon pointu d’un demi-mètre de haut pour le moins, assez semblable à un long cornet ou à un bonnet de nécromancien ; à la hauteur du front, descend de la caperuza un long voile qui couvre le visage et le cou, et dans lequel sont ménagées deux ouvertures pour les yeux ; une tunique, serrée à la taille par une large ceinture, tombe jusqu’aux pieds, et se termine par une très-longue queue tout à fait semblable à celle des robes de cour à la mode sous l’Empire, et qu’on recommence à porter depuis quelques années. Quand ils sont dans la cathédrale, les Nazarenos laissent traîner la queue de leur tunique ; mais dans la rue ils la tiennent à la main en la roulant sur leur bras, en ayant soin de la relever de manière à laisser voir des bas blancs soigneusement tirés, et leurs pieds chaussés d’escarpins à boucle d’argent, coquetterie qui nous parut assez étrange en cette circonstance.
Au milieu du cortége, nous remarquâmes encore les hermanos mayores, dont la dignité correspond à peu près à celle de grand maître, portant de riches écussons d’argent ornés des emblèmes de la confrérie ; puis les munidores, espèces de maîtres des cérémonies, également habillés en Nazarenos, c’est-à-dire dans le singulier costume que nous venons de décrire ; les munidores tenaient à la main, comme les anciens hérauts, de longues trompettes d’argent ornées de riches draperies de soie, avec un grand luxe de broderies, de franges et de glands.
Derrière les hermanos mayores venaient des mozos de cordel, c’est-à-dire de simples commissionnaires, marchant deux par deux, et portant, suspendues à leur cou, de grandes corbeilles pleines de cierges : ce détail assez singulier au premier abord, ne nous étonna guère, car nous l’avions déjà remarqué dans les processions religieuses qui se font dans le midi de la France.
Au milieu de la procession se trouvait le Paso de la confrérie, représentant l’entrée de Jésus-Christ à Jérusalem ; au centre de ce Paso, qui est un des plus grands de Séville, on voit, au milieu des murs de Jérusalem, une porte crénelée sous laquelle passe le Christ monté sur une ânesse et suivi de ses apôtres, qui portent à la main des palmes d’un travail compliqué ; devant le Rédempteur se tiennent des Juifs qui paraissent l’acclamer, et qui étendent leurs manteaux sous ses pieds. Les nombreux personnages de ce Paso, sculptés de grandeur naturelle, sont couverts de vêtements de soie, de drap ou de velours, ce qui produit un effet des plus bizarres.
Nous avons dit que les Pasos étaient placés sur une espèce de table ou de plate-forme d’où pend une draperie qui tombe jusqu’à terre, de manière à cacher les hommes qui sont dessous et qui portent la lourde madone. Comme ceux-ci ne peuvent voir ce qui se passe au dehors, un des membres de la confrérie les avertit au moyen de deux coups de heurtoir quand ils doivent faire halte, et ce signal est répété à tous les autres Pasos qui s’arrêtent aussitôt en même temps.
À la fin du cortége du Paso de la entrada de Jesu Cristo en Jérusalén marchait le clergé de l’église à laquelle il appartient, suivi de quelques compagnies d’infanterie et d’une musique militaire qui jouait des airs de circonstance.
Le lundi et le mardi de la semaine sainte, il n’y a dans Séville aucune cérémonie religieuse extérieure, mais le mercredi nous nous rendîmes de bonne heure à la cathédrale, ou l’on chantait la Passion : quand on arrivait à ces paroles : et velum templi scissum est (et le voile du temple se déchira…) on entendait le bruit d’un voile qui se déchirait en réalité, puis on imitait, par les mêmes moyens qu’on emploie au théâtre, le tonnerre et les éclairs qui se produisirent au moment où le Christ rendit le dernier soupir.
Ce jour-là, les Pasos recommencèrent à parcourir les rues de la ville ; le premier que nous vîmes était celui de La Oracion del Huerto (la prière dans le jardin des Oliviers) ; venait ensuite celui de la Prision del Señor, qui représente le Christ, la corde au cou, traîné en prison par une troupe de Juifs portant toutes sortes d’armes bizarres ; d’autres sont représentés portant des lanternes à la main, et une particularité nous frappa, c’est qu’on avait poussé l’exactitude jusqu’à garnir ces lanternes de bougies allumées.
Vinrent ensuite une quantité d’autres Pasos, qui représentaient le Christ à la colonne, la Flagellation, l’Ecce Homo, le Couronnement d’épines, Ponce Pilate se lavant les mains devant le peuple, et d’autres sujets empruntés à la Passion.
Dès que la nuit est arrivée, commence à la cathédrale l’office des ténèbres — tinieblas — qui attire une grande partie de la population de Séville ; nous ne voulions pas manquer d’entendre le Miserere, qu’on chante après les ténèbres et dont on nous avait beaucoup vanté l’exécution ; la foule était tellement compacte dans l’immense nef que nous ne parvînmes pas sans difficulté à trouver place : le miserere, qui ne dura pas moins d’une heure, fut chanté d’une manière très-remarquable, et les nombreux instrumentistes, choisis parmi les meilleurs musiciens de Séville, nous parurent dignes des chanteurs. Le chapitre de Séville, suivant un usage établi dans la plupart des églises espagnoles, met au concours l’emploi de maestro de capilla, et comme il rétribue très-largement les maîtres de chapelle, la musique de la cathédrale jouit dans toute l’Espagne d’une réputation méritée.
Les cérémonies du jeudi saint sont encore plus pompeuses que celles des jours précédents : dans la matinée, le cardinal-archevêque de Séville consacre les saintes huiles ; on ne peut se figurer la richesse des vêtements sacerdotaux du clergé, extrêmement nombreux, de la cathédrale de Séville. Nous avions remarqué les personnages qui assistaient le cardinal-archevêque, six dignitaires chapés et mitrés, que nous prîmes d’abord pour des évêques ; mais le sacristan mayor qui, grâce à la recommandation d’un ami, avait eu l’obligeance de nous accompagner, nous apprit que