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et le souverain, imagina un moyen de se rendre le Mikado favorable. Aussitôt qu’il aperçut à la cour le petit-fils du Mikado, jeune garçon de six ans, dont la naissance avait eu quelque chose d’extraordinaire, il se prosterna aux pieds de l’enfant miraculeux et l’adora, en annonçant qu’il reconnaissait en lui l’incarnation d’un émule du Bouddha, un nouveau patron de l’empire, un futur propagateur de la lumière religieuse.

Le Mikado se laissa persuader de vouer cet enfant au sacerdoce et de confier son éducation au bonze coréen. Le reste se devine. Ce jeune garçon devint l’initiateur et le premier grand prêtre du bouddhisme dans l’empire du Japon. Il y est aujourd’hui révéré sous le nom de Sjô-Tok-Daïsi, le saint et vertueux prince héréditaire.

Loin de renier l’origine étrangère du nouveau culte, les Japonais se sont fait un devoir de la rappeler par divers symboles, tels que ces têtes d’éléphants que j’ai déjà citées parmi les ornements d’architecture des monuments bouddhistes, et jusqu’à des plants de palmiers, d’une petite espèce acclimatée au Japon, que l’on rencontre aux abords des temples, en souvenir de l’Inde.

Il leur était plus facile de témoigner, par certains signes extérieurs, de leur respect pour le berceau du Bouddha, que de conserver sans altération ce qui constitue l’essence même de sa religion, c’est-à-dire l’exacte tradition de sa vie, de sa personnalité, de ses enseignements.

Dans la légende japonaise, le Bouddha vient au monde d’une manière miraculeuse. Aussitôt après sa naissance il se place debout au milieu de la chambre, fait sept pas dans la direction de chacun des quatre points cardinaux, puis montrant de sa main droite le ciel, et de sa main gauche le sol, il s’écrie : « Autour de moi, en haut et en bas, il n’y a rien qui puisse m’être comparé, ni aucun être qui soit plus digne de vénération ! »

C’est dans cette posture que l’enfant Bouddha est représenté, lorsqu’on célèbre sa naissance. Le huitième jour du quatrième mois, l’on se rend au temple pour arroser sa statuette d’une décoction d’herbes aromatiques, que les bonzes ont préparée dans une sorte de bénitier disposé aux pieds de l’image.

Celle-ci reçoit ensuite les adorations des fidèles, et les plus dévots, pour terminer leurs exercices s’arrosent de la même décoction et en boivent.

Bouddha enfant. — Fac-simile d’une vignette japonaise.

Du neuvième au quinzième jour du second mois, l’on fête le souvenir des méditations du Sâkyamouni dans la solitude des forêts. C’est une semaine de retraite et de prédications, pendant laquelle les bonzes apprennent au peuple que l’éveil de la connaissance suprême dans l’âme du Bouddha fut en corrélation avec l’apparition d’une brillante étoile ; que le sage, parvenu à la pleine possession de la lumière, annonça pendant trente-sept jours le premier livre de la loi, pendant douze ans le second, trente ans le troisième, huit ans le quatrième, et un jour et une nuit le dernier, qui traite du nirwâna ou de l’anéantissement final.

Ils ajoutent que, durant les quarante-neuf années de son ministère, il fit tourner jusqu’à trois cent soixante fois la roue de la loi, image sous laquelle il faut entendre l’exposé complet de sa doctrine.

Le septième et dernier jour de la fête est consacré à la commémoration de la mort du Bouddha. Dans chacun des lieux de culte qui lui sont dédiés, l’on élève un cénotaphe, et les fidèles vont de temple en temple, rivalisant de zèle pour orner le saint tombeau.

C’est alors que l’on déroule dans le temple de Toôfoukzi, à Kioto, le célèbre tableau du Néhanzaô, peint par Tôodenzou. Au centre de cette grande toile, le Bouddha est représenté étendu sous les arbres de saras, plongé dans le repos de l’éternel néant. Le calme solennel de sa figure révèle que l’affranchissement de son intelligence est consommé, que le sage est irrévocablement entré dans le nirwâna. Ses disciples, autour de lui, le contemplent avec une expression mêlée de regret et d’admiration. Les pauvres, les opprimés, les parias, pleurent l’ami charitable qui les a nourris des aumônes qu’il recueillait pour eux, et le consolateur dont la parole compatissante leur a ouvert les perspectives de la délivrance. Les animaux mêmes, la création entière s’émeut en voyant réduit à l’état de cadavre, celui qui respecta constamment la vie, sous toutes les formes qu’elle revêt dans la nature. Les génies de la terre, des eaux et des airs s’approchent avec respect, suivis des hôtes de leurs domaines, les poissons, les oiseaux, les insectes, les reptiles, les quadrupèdes de toutes sortes jusqu’à l’éléphant blanc, degré suprême de la métempsycose brahmanique.

Cette composition, toute bizarre qu’elle est, n’en produit pas moins un effet puissant. Elle éveille je ne sais quelle mystérieuse sympathie et semble même exprimer une idée qui n’est point étrangère au christianisme, savoir : celle d’une certaine solidarité établie entre l’homme et tous les êtres de la création terrestre.

Quant au sujet principal du tableau, je crois que l’on n’est pas encore tout à fait fixé sur le sens qu’il convient