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toutes sortes d’égards, sauf au point de vue pédagogique qui nous occupe. Elle passe, presque sans transition, de la poupée à l’enfant, et conserve longtemps encore le caractère enfantin. D’un autre côté, la coutume nationale ne lui permet pas d’élever son nourrisson dans la mollesse ; il faut qu’elle l’endurcisse aux influences atmosphériques en l’exposant tous les jours au grand air et même au soleil du midi, la tête rasée et complétement nue. Pour le porter le plus longtemps possible sans trop se fatiguer elle-même, elle le glisse sur son dos en le serrant comme un paquet entre sa chemise et le collet de son kirimon. C’est ainsi que l’on voit beaucoup de femmes de paysans vaquer aux travaux de la campagne, laissant percer derrière le chignon une petite tête qui ballotte entre leurs deux épaules. À la maison, l’on peut sans inquiétude abandonner les enfants à eux-mêmes, leur permettre de se rouler en toute liberté sur les nattes, d’y marcher à quatre, de s’essayer à s’y tenir debout ; car il n’existe aucun meuble contre lequel ils risquent de se heurter, ni aucun objet qu’ils puissent bousculer ou briser.

Ils ont pour compagnons les animaux domestiques, une sorte de petits caniches à jambes courtes et le corps tout rond de graisse, et une espèce particulière de chats à la fourrure blanchâtre marquetée de taches jaunes et noires, fort mauvais chasseurs de souris, très-paresseux, très-caressants. Comme à Java, ces animaux n’ont pas de queue, ou plutôt elle est nouée dès la première vertèbre.

Scène de famille. — Dessin de Émile Bayard d’après une photographie.

Il n’est pas de famille jouissant de quelque aisance où l’on ne trouve un aquarium contenant des poissons rouges, argentés, dorés, transparents, les uns ronds comme une boule, les autres ornés d’une large et longue queue ou nageoire palmée faisant l’office de gouvernail et flottant çà et là comme une gaze d’une finesse extrême. On a aussi des cages en brillantes lamelles d’écorce de bambou, construites sur le modèle des plus élégantes habitations, et l’on y enferme, sur un lit de fleurs, de grands papillons ou de grosses cigales dont les indigènes aiment le chant strident et monotone.

Tel est, en quelques traits sommaires, l’entourage dans lequel l’enfant japonais se développe sans contrainte : en premier lieu et par-dessus tout, la nature, la pleine campagne, et accessoirement la maison paternelle, qui n’est guère autre chose pour lui qu’une sorte de pelouse abritée. Ses parents ne lui ménagent ni les jouets, ni les jeux, ni les fêtes, tant pour leur propre jouissance que dans l’intérêt de son éducation. Les leçons proprement dites consistent à chanter en chœur et à tue-tête l’irova et d’autres exercices de lecture, et à dessiner au pinceau et à l’encre de Chine des lettres de l’alphabet, puis des mots, puis des phrases. L’on n’y met ni point d’honneur ni précipitation, car il s’agit d’une chose qui se recommande d’elle-même par son utilité, mais qui ne peut s’acquérir que par une longue pratique. Il ne vient à l’idée de personne de priver ses enfants des bienfaits de l’instruction. L’on ne connaît ni règlements scolaires, ni mesures de coercition à l’usage des plus récalcitrants, et cependant toute la population adulte, des deux sexes, sait lire, écrire et calculer.

Tout n’est pas à dédaigner dans le régime pédagogique du Japon.

Aimé Humbert.

(La suite à La prochaine Livraison.)