Page:Le Tour du monde - 14.djvu/315

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Kioto y trouvait avec plaisir toutes sortes de sujets propres à exercer sa verve railleuse : tantôt c’étaient les grands airs que se donnait la femme du siogoun, le mauvais goût des toilettes de son entourage, le jeu trivial des acteurs, le genre guindé des danseuses ; tantôt l’on s’en prenait au bariolage des uniformes militaires que Yoritomo avait mis en honneur, ou à la vulgarité de propos et de manières de ces illustrations de fraîche date qui se posaient en sauveurs de l’empire et restaurateurs du trône pontifical.

Une circonstance imprévue vint donner une importance soudaine à la cour de Kamakoura et concentrer sur elle les regards et les sympathies de la nation.

Le douzième mois de l’an 1268, une ambassade mongole aborda au Japon. Elle se présentait au nom de ce Koublaï-Khan qui, digne petit-fils des conquérants tartares, devait, douze ans plus tard, s’emparer de la Chine, faire de Pékin sa résidence et fonder la dynastie Yuen, sous laquelle fut construit le grand canal. C’est le même souverain qui retint à sa cour le Vénitien Marco Polo ; et celui-ci est le premier voyageur qui ait fourni à l’Europe des notions exactes sur la Chine et le Japon. Ses relations, assure-t-on, exercèrent une influence si décisive sur Christophe Colomb, qu’on leur doit, en quelque sorte, la découverte de l’Amérique.

L’île Webster et l’îlot de Sivosima (vue prise de Kanasawa). — Dessin de Léon Sabatier d’après un croquis de M. A. Roussin.

Koublaï-Khan écrivait à l’empereur du Nippon :

« Je suis le chef d’un État autrefois sans importance. Aujourd’hui l’on ne saurait énumérer les villes et les pays qui reconnaissent mon pouvoir. Je m’efforce d’entretenir de bons rapports avec les princes qui m’avoisinent. J’ai fait cesser les hostilités dont les terres de Kaoli étaient le théâtre. Le chef de ce petit royaume s’est présenté à ma cour pour me témoigner sa gratitude. Je l’ai traité comme un père traite son enfant. Je n’agirais pas autrement envers les princes du Nippon. Il n’est encore arrivé aucune ambassade de votre côté pour s’aboucher avec moi. Je crains que l’on ne se rende pas compte dans votre pays, du véritable état des choses. Je vous envoie donc cette lettre par des délégués qui vous feront connaître mes intentions. Le sage a dit que le monde ne devait faire qu’une famille. Mais si l’on n’entretient pas, les uns avec les autres, des relations amicales, comment parviendra-t-on à réaliser ce principe ? Pour ma part, je suis décidé à en poursuivre l’exécution, dussé-je, au besoin, y employer la force des armes ! Maintenant c’est au souverain du Nippon de voir ce qu’il lui convient de faire. »

Le mikado énonça l’intention de répondre favorablement aux ouvertures de Koublaï-Khan.

Le siogoun, au contraire, se déclara hostile à toute idée d’alliance avec les hordes des Mongols. Il fit convoquer à Kamakoura une assemblée des daïmios, leur soumit ses objections et les entraîna dans son parti.

L’ambassade fut congédiée avec des paroles évasives.