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fragments du plancher du vieux lac ont été soulevés en blocs, tandis que des parties plus étendues ont conservé leur niveau primitif, et que d’autres plus disloquées ont subi des mouvements de dépression[1].

Dans cette dernière catégorie on doit ranger le thalveg de l’Allier ; dans la seconde les portions planes ou ouvertes de la Limagne actuelle ; dans la première enfin, toutes ou presque toutes les sommités coniques ou tabulaires qui hérissent ce bassin.

Ainsi, pour en revenir à notre point de départ, dans les ravins de la partie sud-est de Gergovie, l’affleurement de l’immense corniche de basalte qu’on y remarque et qu’à l’aide d’une longue-vue on peut reconnaître, même du chemin de fer qui longe l’Allier, n’est pour M. Ch. Lyell, d’accord cette fois avec l’école parisienne, que l’arête saillante d’un dyke énorme, qui, à l’époque ou les basaltes s’épanchaient en cascades bouillantes du haut du plateau des Dômes sur les pourtours du Léman de l’Auvergne, a jailli, à travers les couches sédimentaires du fond même du lac, et en a soulevé des fragments ramollis et plus ou moins altérés par son contact, jusqu’à la hauteur où nous les voyons aujourd’hui.

Cette excursion dans la nuit des âges géologiques, aura fatigué, je le crains, plus d’un de mes lecteurs ; il faut une longue, une douloureuse expérience des turpitudes et des ridicules de la création pensante pour trouver repos et douceur dans l’étude de la matière inerte, et, au risque de demeurer incompris, je ne souhaite cette expérience la personne.

Le plateau de Gergovie vu du col des Goules. — Dessin de Hubert Clerget d’après nature.

Nous rentrâmes à Clermont par le beau, le bucolique territoire d’Aubières. Je savais que je devais y trouver, non loin d’un pont jeté sur l’Artière, un grand menhir celtique, rappelant, par son granit rosé, les obélisques de l’antique Égypte. Je l’aperçus à moitié enfoui dans les herbages d’un plantureux verger, dont la pente s’inclinait doucement vers la rivière, et dans lequel une troupe de jeunes filles fanaient un regain parfumé et cueillaient des fruits pour le marché ou les confiseurs de la ville. Notre cocher nous ayant affirmé que nous avions dû voir la plupart d’entre elles, le dimanche précédent, dans les rues de Clermont, où, suivant une coutume de longue date déjà, ces villageoises, riches, très-riches même, viennent, les jours de fête, pompeusement parées dans l’avant-dernier goût des modes de Paris, lutter de luxe et de belles manières avec les dames de la cité, je fis arrêter notre voiture, et je marchandai, au pied du menhir même, une corbeille de pêches à ces lionnes champêtres. Je crus effectivement retrouver parmi elles deux ou trois figures dont j’avais remarqué la fabuleuse toilette, alors que sous le soleil du 15 août, elles balayaient, de leurs traînes de moire antique et des dentelles de leurs lourds manteaux de velours, le pavé des places de Jaude et des Petits-Arbres. Combien, à leurs traits un peu hâlés, à leur taille souple, mais saine et robuste, l’humble et léger costume de faneuses ou de jardinières siéyait mieux que le harnais du demi-monde !… Je me gardai pourtant bien de le leur dire ; elles ne m’auraient pas cru.

F. de Lanoye.

(La suite à la prochaine livraison.)



  1. Ch. Lyell, Principles of geology, t. III, ch. XVII et XIX.