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VOYAGE DE L’ATLANTIQUE AU PACIFIQUE,

(ROUTE DU NORD-OUEST PAR TERRE),


PAR LE VICOMTE MILTON ET LE DOCTEUR CHEADLE[1].


1858-1864. — TRADUCTION INÉDITE. — DESSINS INÉDITS.


Séparateur



Mont Milton. — Futaie énorme. — Passage de la rivière. — Fourche de la Thompson septentrionale. — On ne trouve pas de route. — Passage de la branche nord-ouest. — Nous perdons encore la voie. — De quel côté nous dirigerons nous ? — Résolution d’aller à Kamploups. — Découverte inquiétante. — Fin de la voie. — Nous sommes perdus dans la forêt. — Festin avec de la viande d’ours.

Le lendemain, faisant un long détour sur la droite pour tourner la chaîne qui se dirige au sud, nous entrâmes dans la vallee qui en est située à l’ouest. La trace n’était pas fort distincte et passait parmi des rochers et de la futaie incendiée.

Lorsqu’il s’agît de dîner, nous nous aperçûmes que nous avions perdu notre poêle à frire et une partie de notre vaisselle d’étain, ce qui nous réduisait dès lors à faire cuire dans la marmite notre pemmican et à y boulanger notre pain.

Au fond du ravin coulait un petit ruisseau se dirigeant au nord pour tomber probablement dans le Fraser ou dans la rivière du Canot.

Le jour suivant, nous franchissions la ligne de faîte du bassin de la Thompson, où nous entrions. Il y avait là un petit lac marécageux, appelé sur la carte le lac Albreda, qui occupait le fond du ravin. Nous longeâmes un cours d’eau qui en sortait vers le midi. Devant nous s’élevait une montagne magnifique couverte de glaciers et qui semblait bloquer la vallée. Cheadle appela cette montagne le mont Milton. La trace pénétrait ensuite dans l’épaisseur de la forêt de sapins, où la futaie prenait des dimensions énormes.

Le cinquième jour après notre départ de La Cache, nous nous trouvâmes sur la rive droite ou occidentale d’un affluent de la Thompson. En la traversant, pour empêcher nos effets d’être trempés, nous étions forcés de mettre sur nos têtes les paquets dont les chevaux étaient chargés. Nous arrivâmes ensuite à une rivière profonde que nous franchîmes en menant les chevaux par une ancienne digue à castors. Nous étions encore entourés de montagnes neigeuses et de hauteurs escarpées qui, couvertes de sapins, fermaient de toutes parts la vallée.

Le 25 juillet, laissant le mont Milton à droite, nous fûmes arrêtés par une grande rivière qui avait une soixantaine de mètres en largeur et coulait à bords remplis d’eau fondue des glaciers. À l’angle que formait le confluent, nous campâmes afin de reconnaître par où se dirigeait la trace des émigrants. Ici nous trouvâmes un de leurs bivacs avec plus de bois coupé qu’il n’en fallait pour les feux, d’où nous conclûmes qu’ils y avaient fait un radeau et passé, à ce confluent, sur l’un ou l’autre bord de la rivière principale. Jusqu’alors nous avions supposé qu’ils avaient, sans la franchir, remonté le courant venu du nord-ouest dans la direction du Caribou ; mais, de ce côté, il nous fut impossible de découvrir aucune trace et L’Assiniboine n’en trouva pas davantage sur le bord oriental de la grande rivière où il se transporta à l’aide d’un petit radeau.

Il nous parut donc évident que les émigrants étaient allés sur la rive occidentale, et nous ne pouvions mieux faire que nous y rendre aussi.

Un arbre portait une inscription annonçant que c’était le point où le guide André Cardinal avait quitté les émigrants pour retourner à Edmonton. C’était de là qu’il avait montré aux émigrants les hauteurs du Caribou dans le lointain. Cette circonstance, jointe à l’affirmation de la vieille femme de La Cache que, dirigé vers le Caribou ou vers Kamloups, le voyage nous prendrait une huitaine de jours, nous mit fort à notre aise, bien lue nous n’eussions plus que très peu de provisions.

La privation du thé nous était plus pénible que celle du sel, des conserves de végétaux et même que de toute autre friandise. Il y avait déjà plus d’une année que nous nous abstenions, sans la moindre difficulté, de tout stimulant alcoolique, mais nous ne pûmes jamais cesser de regretter le thé et le tabac. Jusqu’alors nous avions allongé la petite quantité de tabac qui nous restait en la mêlant avec ce que les Indiens appellent kinnikinnick, qui est l’écorce intérieure du cornouiller. Mais à présent nous n’en avions plus à nous tous que trois ou quatre pipes, et nous résolûmes de garder ce tabac pour quelque grande occasion.

Cependant, convaincus encore que nous arriverions en quelques jours au but de notre voyage, nous nous mîmes à construire un radeau.

La traversée se fit sans accident excepté qu’au moment où nous approchions du rivage, M. O’B., dans sa hâte de se trouver à terre en sûreté, sauta dans un bas-fond. L’Assiniboine le retira de l’eau.

En nous mettant à chercher la trace du chemin, nous reconnûmes avec chagrin que nous avions abordé sur une petite île et non sur le bord occidental de la rivière comme nous le voulions. Le cours d’eau du nord-ouest se joignait au principal par deux bouches et nous nous trouvions sur le petit delta situé entre les deux bras.

  1. Suite et fin. — Voy. pages 209 et 225.