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les énormes troncs qui nous barraient la route rendaient notre marche extrêmement laborieuse.

Dans l’après-midi du 13, nous arrivâmes à un endroit où le chemin passait sur une corniche, le long d’une haute falaise composée de schiste tombant en poussière. Le sentier n’avait que quelques pouces de largeur et suffisait à peine au pas des chevaux.

Ce passage était si étroit et si dangereux, que nous l’appelâmes le Pont de Mahomet.

Le paysage avait alors une véritable beauté. Les montagnes fermaient la vallée de très-près et tout à l’entour. En bas, la rivière rugissait, en se déchirant avec emportement sur les rochers qui semaient son lit.

Dans la matinée du 14, quelques heures de marche nous conduisirent à la Grande Fourche du Fraser. C’est là qu’une branche considérable, venant du nord ou du nord-est, se réunit par cinq bouches différentes au courant principal du Fraser que nous avions jusqu’alors suivi. Il fallut faire une halte pour examiner les gués où nous pourrions en sécurité traverser ces eaux enflées. Cette Grande Fourche du Fraser est ce qu’on appelait d’abord la Cache de la Tête-Jaune, parce que c’est là qu’un trappeur iroquois, surnommé la Tête Jaune, avait établi la cache où il serrait les fourrures prises sur le versant occidental des montagnes.

Le site est magnifique et d’une grandeur qui défie toute description. Au fond d’une gorge étroite et rocheuse, dont les flancs étaient revêtus de sombres sapins

Passage de l’Athabasca. — D’après MM. Milton et Cheadle.

et, plus haut, d’arbustes au feuillage d’un vert clair, filait comme une flèche le Fraser impétueux. De toutes parts les sommets neigeux des puissantes montagnes couronnaient le ravin, et immédiatement derrière nous, géant parmi les géants, s’élevait dans sa domination incommensurable, le Pic de Robson. Ce mont est magnifique, hérissé de rochers couverts de glaciers ; il a une forme conique.

Nous eûmes de nouvelles difficultés après avoir dépassé la vieille Cache : torrents profonds à franchir, abatis à sauter à chaque dizaine de mètres et la vallée couverte par l’inondation !

Le lendemain 15 juillet, nous continuâmes notre lutte contre les inondations, les abatis d’arbres et les débris de toute sorte ; mais nous fîmes une perte irréparable. Nous avions pris en main les chevaux qui portaient la farine et le pemmican afin d’empêcher qu’en se jetant, comme la veille, dans l’eau profonde, ils n’endommageassent et même ne nous fissent perdre nos approvisionnements. Deux des autres qui n’étaient pas tenus, Bucéphale et celui que nous avions trop justement surnommé Giscouékarn ou le fou, perdirent la rive, tombèrent dans le courant et furent emportés en un instant. Bientôt ils étaient hors de vue. L’Iroquois et le jeune Assiniboine s’élancèrent à leur poursuite, tandis que nous marchions avec le reste des chevaux. Environ un demi-mille plus bas, nous revîmes nos animaux qui avaient pris pied sur un haut fond au milieu du torrent. Comme nous arrivions alors dans un de ces rares jardins que la nature a pris soin d’embellir de fleurs et