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rivière Thompson, dans la Colombie Britannique. Séparés du gros de leurs tribus par une distance de trois à quatre cents milles, que couvrent des forêts presque impénétrables, ils n’ont avec lui que peu de relations.

Le 3 juillet, M. Macaulay arriva et fit poser sa tente près de notre loge. Nous fîmes avec lui un excellent souper de truites délicieuses, qu’il avait pêchées la veille dans les lacs de la montagne. Il nous apprit que les trois mineurs dont on avait parlé à Edmonton, comme ayant conçu le projet d’examiner les sources de la Saskatchouane septentrionale, et dont nous avions lu l’avertissement écrit sur un arbre quand nous étions arrivés à l’Athabasca, étaient déjà passés se dirigeant à travers les montagnes sur le Caribou.

M. Macaulay nous engagea aussi à prendre pour guide, jusqu’à la Cache de la Tête-Jaune, un vieux métis iroquois.

Le 4 juillet, nous nous remîmes en route sous la conduite de cet Iroquois. M. Macaulay et deux de ses gens nous accompagnèrent jusqu’au point où nous devions traverser l’Athabasca. Quand le chemin n’était pas sous l’eau, qui montait souvent jusqu’au poitrail des chevaux, il longeait les flancs escarpés de la vallée qui allait en s’étrécissant, et nous ne parvînmes à notre destination qu’à la nuit tombante. Nous campâmes pour la nuit au bord de la rivière, à un endroit où il y avait une abondance de bois sec, dont les émigrants canadiens avaient déjà coupé une certaine quantité pour faire leur radeau. L’un des arbres portait inscrits les noms de ceux dont nous avait parlé M. Macaulay comme nous ayant précédés ; il nous apprenait en outre que leur passage avait eu lieu le 16 juin, c’est-à-dire environ trois semaines auparavant.

Au matin suivant, nous nous mîmes tous à l’œuvre, abattant et transportant le bois. À midi, le radeau étant prêt, nous fîmes entrer les chevaux dans l’eau. Quand ils furent arrivés en sûreté sur l’autre bord, nous récompensâmes nos amis les métis en leur distribuant ce qui nous restait de rhum, politesse qu’ils préféraient à toute autre, et, faisant notre adieu cordial à M. Macaulay et à ses compagnons, nous continuâmes notre entreprise.

À cette place, la rivière était profonde, large et paisible ; nous la franchîmes heureusement et sans difficulté. Avant d’avoir atteint la rive opposée, nous découvrîmes que nous avions laissé sur celle que nous venions de quitter une des deux hachettes qui nous restaient ; cependant nous ne revînmes point sur nos pas, parce que ce n’était pas une petite affaire que de diriger un si grand radeau. Si nous avions su combien nous regretterions par la suite la perte de cet instrument, nous n’aurions certes rien épargné pour le recouvrer.

Le lendemain vers midi, en remontant toujours le long de l’Athabasca, nous trouvâmes une belle petite prairie environnée de hauteurs que couvraient des sapins verts presque jusqu’au sommet et que dominaient des pics élevés tout revêtus de neige. L’un de ces pics, qui a reçu le nom de la Roche du Prêtre, a une forme curieuse : son sommet ressemble à celui d’une pyramide enveloppée de neige. La prairie était richement émaillée de fleurs, et un âpre monticule y marquait l’emplacement de Henry-House, l’ancien fort des Montagnes Rocheuses.

À cet endroit, le chemin quittant la vallée de l’Athabasca, tournait vers le nord-ouest et pénétrait dans un ravin étroit et rocailleux qu’on appelle la vallée de la Miette[1]. Ce cours d’eau n’avait pas plus de trente mètres en largeur, mais il était profond et rapide, et son lit était semé de grosses pierres et de rochers. Le chemin était souvent coupé par de larges pierres et de grands arbres tombés formant des abatis si épais que nos deux hommes eurent toute l’après-midi une rude besogne et que nos chevaux n’avançaient qu’en sautant continuellement. Nous fîmes à grand-peine peu de chemin et nous campâmes pour la nuit sur le bord de la Miette.

Pendant toute la matinée suivante, la route présenta les mêmes difficultés et nous avançâmes aussi lentement que la veille. À midi, nous atteignîmes la place où il fallait passer la rivière, et nous nous y arrêtâmes pour construire un radeau. Arrivés sur l’autre côté, nous marchâmes péniblement à travers un ravin étroit, et où les montagnes descendaient si près du bord de l’eau que, pour avancer, nous eûmes à traverser encore six fois la rivière avant la soirée.

Au dernier gué, les eaux s’élançaient sur une telle pente dans une chute pleine d’écume et de colère, elles faisaient de si terribles bouillons autour des grandes roches qui encombraient le chenal, que nous hésitâmes avant de nous aventurer à y pousser nos chevaux. Mais l’Iroquois ouvrit la marche et traversa heureusement, quoique son cheval bronchât, chancelât et pût à peine se tenir. Alors nous lançâmes nos chevaux de charge devant nous et nous entrâmes dans l’eau. Elle montait par-dessus les épaules de nos chevaux pendant qu’ils luttaient contre le courant, qu’ils glissaient sur les pierres plates, choppaient et se raffermissaient sur leurs jambes de la façon la plus extraordinaire.

Le lendemain, nous remontions la rive droite ou méridionale de la Miette, dernier endroit où l’on traverse cette fatigante rivière. Nous découvrîmes un petit radeau ou cajot, amarré de l’autre côté près de quelques saules, et laissé là sans doute par les trois Américains qui avaient traversé ce torrent peu de semaines avant nous.

Au delà nous continuâmes notre route en longeant le pied de hauteurs couvertes de sapins et qui commençaient à s’éloigner davantage de l’eau. Un des pics neigeux les plus proches nous rappelait la pyramidale Roche du Prêtre et le nombre des montagnes au blanc sommet augmentait autour de nous.

Cette nuit notre bivac fut établi près d’une petite rivière que notre Iroquois appelait Pipestone et qui est une

  1. C’est, du côté de l’est, le commencement du col de la Cache de la Tête-Jaune. (Trad.)