Page:Le Tour du monde - 14.djvu/234

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lement, devait être celui nous avions entendu par sous le nom de la Roche à Miette, non loin de Jasper-House.

Un des jours suivants, L’Assiniboine nous conduisit sur un petit plateau découvert, où il n’y avait que des fleurs sauvages, et situé à la base de la Roche à Miette qui s’élevait perpendiculairement au-dessus. Nous y déchargeâmes les chevaux et nous nous y arrêtâmes pour prendre du repos.

Dans l’après-midi, nous vîmes des traces nombreuses et fraîches du bighorn ou mouton gris, qui vit à l’état sauvage dans les montagnes Rocheuses[1]. L’Assiniboine et Cheadle entrèrent en chasse et escaladèrent les pentes roides des montagnes qui alors fermaient complétement la vallée. Le reste de la bande suivit un chemin bien frayé et montant brusquement, pour éviter une falaise escarpée qui en cet endroit penchait au-dessus de la rivière. Ce chemin s’élevait de plus en plus, longeant les saillies rocheuses ou escaladant des pentes abruptes, vertes et glissantes. Enfin il atteignait le terme de la végétation et n’était plus séparé que par un précipice de la hauteur où se tenaient les neiges perpétuelles. Nos chevaux s’arrêtaient souvent ; ils cherchaient à se dérober à leur tâche ardue.

Nous eûmes bientôt en plein la vue des Montagnes Rocheuses. C’était un paysage admirable. De toutes parts des pics aux formes les plus étranges s’élançaient dans les airs. À l’ouest, la Roche du Prêtre, pyramide de glace, s’élevait éclatante au-dessus d’une sombre montagne recouverte de sapins ; à l’est, la remarquable Roche à Miette ; en face et derrière, des montagnes coniques, crénelées, hérissées ; à des centaines de pieds au-dessous de nous, courait la tortueuse Athabasca. Sortant du cœur des montagnes à travers une gorge resserrée, elle pénètre dans une assez large vallée où elle s’étale en un lac de trois à quatre milles de long, puis elle se rétrécit de nouveau et se divise en plusieurs bras qui enveloppent des îles boisées ; après quoi, elle se développe encore dans un second lac plus petit que le premier. C’est là, entre ces deux lacs, sur la rive gauche de l’Athabasca, que gisait au fond de la vallée, comme une tache, le petit bâtiment de bois que nous avions si longtemps désiré d’atteindre. Avec quelle joie nous l’aperçûmes ! Il était là, sous nos yeux ! Jusqu’alors nous avions pu nous demander si, au lieu de la route de Jasper-House, nous ne suivions pas en effet un sentier tracé dans les montagnes par les chasseurs.

Nous descendîmes dans la vallée par un chemin pareil à celui qui nous avait fait gravir la montagne.

Jasper-House est un petit bâtiment propret et blanchi, entouré d’une basse palissade et situé au milieu d’un vrai parterre de fleurs sauvages. Évidemment le fort n’avait point d’habitants ; mais, comme la voie ne semblait pas conduire ailleurs, nous nous décidâmes à passer la rivière, et nous nous mîmes à couper des arbres pour faire un radeau.


Construction d’un radeau. Les Chouchouaps des Montagnes Rocheuses. — Passage de l’Athabasca. — La Roche du Prêtre. — Site du vieux fort Henry-House. — La vallée de la Miette. — Passage des rapides. — La ligne de faîte. — Le lac de la Bouse de Bison. — Le Fraser. — Une journée de marche dans l’eau. Le lac de l’Élan. — Chutes Rockingham. — Le Pont de Mahomet. — Fourche du Fraser, jadis appelée Cache de la Tête-Jaune. — Pic de Robson. — Inondation et forêt. — Perte de Giscouékarn. — Nous arrivons à la Cache.

Le 30 juin, nous travaillâmes dur avec nos deux hachettes, abattant les pins desséchés. L’après-midi s’avançait sans que nous eussions coupé assez de bois, et nous avions à le transporter à quelques centaines de mètres sur le bord de l’eau. Il fallut remettre au lendemain le passage de la rivière.

Milton et le jeune Assiniboine s’étaient volontairement offerts pour traverser, à la nage, avec les chevaux, l’Athabasca, afin de porter à l’autre rive des cordes dont nous nous servirions pour guider le radeau. C’était une entreprise qui ne manquait pas de dangers, car la rivière était large et le courant extrêmement rapide. Or, le lendemain matin, avant que nos préparatifs fussent terminés, un métis entra dans notre camp. Il était le bienvenu auprès d’hommes qui avaient voyagé trois semaines sans voir leurs semblables. Il nous conseilla de ne traverser l’Athabasca que quelques milles plus haut, en amont du lac.

Chemin faisant nous dûmes passer plusieurs courants ou très-probablement plusieurs bouches d’une seule rivière qui, très-enflée et très-rapide, venait du sud se jeter dans l’Athabasca.

Nous les franchîmes à cheval, très-malaisément et en suivant pas à pas notre guide. Il n’y eut que M. O’B. qui, ayant pris en un dégoût invincible l’équitation, depuis que son cheval s’était couché sous lui en gravissant la montagne, s’obstina à traverser à pied et courut grand risque de se noyer.

Nous gagnâmes peu après une plaine sablonneuse richement couverte de fleurs ; nous y campâmes près d’un lac clair et peu profond, qui communiquait par une issue étroite avec le lac supérieur de l’Athabasca. Nous décidâmes d’y attendre l’arrivée de M. Macaulay.

Dans la soirée, deux Indiens Chouchouaps vinrent nous trouver et essayèrent de percer de leurs dards des poissons blancs à la lumière d’une torche. Ils en prirent quelques-uns et nous les vendirent volontiers pour un peu de munitions et de tabac. Maigres, décharnés, de moyenne taille, ils étaient moins robustes que les Indiens que nous avions rencontrés auparavant. Leurs traits plus délicats étaient bien dessinés et avaient une expression plus douce, mais aussi intelligente que ceux des autres. Ils ne portaient qu’une chemise et une robe de peau de marmotte ; leurs jambes et leurs pieds étaient nus et ils n’avaient pour coiffure que leur longue chevelure noire. Ces Chouchouaps des Montagnes Rocheuses habitent le pays entre Jasper-House et la Cache de la Tête-Jaune, sur le versant occidental. Ils appartiennent à la grande nation Chouchouap, qui habite les environs du lac Chouchouap entre les deux bras de la

  1. Le bighorn ressemble au mouton ordinaire, mais avec une tête fort grosse et des cornes énormes en forme de boucle.