comme un portage[1] de l’Athabasca au Fraser ; mais il se trouvait aujourd’hui abandonné depuis longtemps, à cause des difficultés insurmontables que présentait la navigation du dernier fleuve.
Un parti de cinq aventuriers avait quitté Edmonton à la fin de l’automne de la même année 1862, avec l’intention de se procurer des canots à la Cache de la Tête-Jaune, et de descendre le Fraser jusqu’au fort George[2]. Personne ne savait ce qu’ils étaient devenus.
Nous résolûmes toutefois de nous en tenir à notre premier projet d’essayer de passer par le col Leather, de suivre autant que possible la route des émigrants, et ensuite de nous fier à nos cartes, toutes imparfaites qu’elles étaient, et à la sagacité de nos gens, pour gagner soit le Caribou ou le fort Kamloupz, à la fourche et au confluent des deux Thompsons, suivant les circonstances.
Le 3 juin 1863, nous partions d’Edmonton, accompagnés des bons souhaits des excellents amis que nous nous y étions faits. Mais, bien qu’ils appelassent de tout leur cœur l’aide de Dieu sur nous, l’opinion publique, à ce que nous dirent nos gens, considérait, dans le fort, notre expédition comme destinée à une fin désastreuse.
Le 5 juin, partis de Saint-Alban, nous suivîmes, durant une cinquante de milles, la route qui conduit au lac Sainte-Anne. Le pays est fertile et pareil à un parc ; mais ici commence la profonde forêt qui se prolonge dans le nord et ne finit qu’aux montagnes à l’ouest. Il est vraisemblable que les rives de ce lac ont été choisies comme le site d’une colonie à cause de l’immense quantité de coregonus ou de poissons blancs qu’il fournit et qui forment le fond de la nourriture de leurs habitants. C’est une jolie pièce d’eau qui a plusieurs milles de long et dont les rives occidentales sont égayées par une église et une cinquantaine de maisons.
À notre départ du lac Sainte-Anne, le chemin nous conduisit immédiatement au cœur de la forêt, dans un terrain marécageux, pourri et profondément couvert d’arbres tombés de vieillesse. Les chevaux y enfonçaient jusqu’au poitrail, et, de distance en distance, avaient à franchir les obstacles qui encombraient la voie.
À deux jours du lac, la route parut s’améliorer : on trouvait quelques places de pays ouvert, les arbres étaient moins élevés, et ils formaient des groupes sur les penchants de basses collines. À midi, nous étions près d’un grand lac, que nous côtoyâmes tout le reste de la journée. Il paraissait bien peuplé de poisson et de volaille sauvage. Les poissons dans les eaux basses se reposaient au soleil, daignant à peine se déranger à l’approche de nos chevaux.
Le 11 juin, nous étions près de la rivière Pembina. Elle a des eaux claires, peu profondes, coulant vers le nord-ouest, sur un lit de cailloux, entre des berges perpendiculaires qui ont bien quatre-vingts pieds de haut. Ces bords laissaient voir la section d’un magnifique gisement de charbon, ayant quinze à vingt pieds de profondeur. Nous passâmes aisément la rivière à gué.
Pendant deux ou trois jours encore, le pays présentait la même surface légèrement onduleuse, aux bois épais, n’ayant presque aucune éclaircie ni éminence d’où la vue pût s’étendre à distance. Le sol ferme ne se trouvait qu’au faîte des collines étroites et basses qui séparaient des vallées larges et peu profondes. Celles-ci étaient occupées par des muskegs, sortes de marais unis et recouverts d’une croûte moussue qui a cinq ou six pouces d’épaisseur ; le grand nombre de sapins qui ont poussé dru et d’arbres qui sont tombés y ajoute aux difficultés de la route.
De temps en temps, nous traversions des pistes d’élans et d’ours noirs. Les premiers jours, on voyait quelques canards sur les cours d’eau et sur les lacs ; mais, à mesure que nous pénétrions plus avant dans l’intérieur de la forêt, la volaille sauvage disparaissait des eaux. D’autre part, les pigeons, les perdrix de bois et les perdrix de pin se montraient en abondance et nous en tuions d’abord en quantité. La perdrix de bois ou tétras de saule fréquente les bois épais et les terrains bas, aux deux côtés des Montagnes Rocheuses. Si elle est effrayée, elle s’envole dans un arbre et y sert de but. Quand plusieurs tétras sont groupés, ils se laissent abattre l’un après l’autre au lieu de partir. Au printemps, le mâle, pour plaire à la femelle, se livre à l’exercice suivant : il se pose sur une branche, ébouriffe ses plumes, étend sa queue comme un dindon fait sa roue, ferme ses paupières et bat le tambour contre ses flancs à l’aide de ses ailes, produisant un bruit fort semblable à celui d’un tonnerre lointain. Dans cette occupation, il s’absorbe au point de se laisser approcher assez près pour qu’on puisse lui jeter au col un nœud coulant attaché au bout d’un court bâton.
Vers le milieu de juin les perdrix étaient entourées par leurs jeunes couvées, et nous cessâmes de les tirer. Quand nous en rencontrions, la femelle, et quelquefois même le mâle, s’élançait en avant, jusqu’à près de deux mètres de nous, les ailes étendues, les plumes hérissées, absolument comme les poules de nos fermes pour défendre leurs poussins. La perdrix de pin est un peu plus grosse que le tétras de saule, plus foncée en couleur, comme un tétras anglais, avec une bande écarlate au-dessus des yeux. On ne la rencontre que dans les muskegs ou marais à sapins. Le pigeon est le beau pigeon voyageur, à longue queue, si commun dans les forêts américaines ; nous l’avons rencontré dans l’ouest jusqu’aux sources de la Thompson septentrionale.
« Un curieux oiseau, que nous n’avons trouvé qu’en-