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VOYAGE DE L’ATLANTIQUE AU PACIFIQUE,

(ROUTE DU NORD-OUEST PAR TERRE),


PAR LE VICOMTE MILTON ET LE DOCTEUR CHEADLE[1].


1862-1864. — TRADUCTION INÉDITE. — DESSINS INÉDITS.




La vie du trappeur (suite). — Les voyageurs quittent leurs quartiers d’hiver. — Le fort Pitt. — Les castors. — Edmonton. — M. O’B. — On nous conseille de ne pas persévérer à passer par le col Leather. — La contrée est inconnue à l’ouest des montagnes. — Cols et passages.

Dans les nuits d’hiver, les aurores boréales sont souvent admirablement belles. Nous en vîmes deux dont la forme était celle d’une arche, semblable à un arc-en-ciel de teintes rosées, qui envoyaient des courants de lueurs changeantes et incertaines se rencontrer au zénith.

Le campement du trappeur dans les bois a toujours pour hôte la petite pie noire et bleue ; perchée sur un buisson voisin, elle attend qu’on lui donne pour sa part quelque débris du festin. Ces oiseaux sont si hardis qu’ils viennent, jusque dans le pot où bout le dîner, voler un morceau.

La neige n’avait pas encore plus de huit pouces de profondeur et nous ne nous étions pas jusqu’alors servis de nos raquettes dans les bois, où l’usage en est rendu assez embarrassant par les broussailles et les arbres renversés[2]. Il s’ensuivait que la marche était très-fatigante et que nous rentrions chez nous harassés, épuisés par une absence de cinq ou six jours.

La supériorité des Indiens, comme marcheurs, nous semble avoir pour cause leur habitude de porter le moccasin. Cette chaussure laisse la liberté à l’élasticité du cou-de-pied[3] qui, chez nous, est gêné par la dureté de la semelle de nos bottes. Les muscles du pied d’un Indien sont si développés qu’ils lui donnent l’air dodu et potelé qu’a le pied d’un enfant. On se moquait de la maigreur de nos hauts pieds et on croyait qu’ils devaient avoir été mal faits dès l’origine.

— Il faut, à regret, passer par-dessus beaucoup d’aventures et d’observations intéressantes des deux voyageurs pendant le reste de leur séjour à la belle prairie.

Le 3 août, ils quittèrent leur quartier d’hiver avec un sentiment de tristesse. Le 6 ils atteignirent la Saskatchaouane. Elle était encore bien prise et ils la passèrent sur la glace. Ils remontèrent ensuite la rive gauche de la Saskatchaouane du Nord dans la direction du fort Pitt où ils arrivèrent le 20 avril. Ils y restèrent huit jours, puis, avançant vers le nord, ils traversèrent un des plus beaux paysages du monde. Ils engagèrent un nouveau serviteur Louis Battenote, surnommé L’Assiniboine, homme d’une force athlétique et qu’on aurait pris pour l’un des Indiens parmi lesquels il avait toujours vécu. La femme et le fils de L’Assiniboine se joignirent à la caravane. —

Chemin faisant, poursuivent les voyageurs, nous rencontrâmes souvent les marques des travaux du castor à des époques déjà éloignées de nous, lorsque sa race était nombreuse et puissante. Entre autres, dans un endroit, il y avait une longue chaîne de marais qu’avait causés un endiguement construit à travers un ruisseau qui dès lors avait cessé d’exister. Les demeures des castors paraissaient abandonnées depuis plusieurs siècles ; car leur maison n’était plus qu’une levée herbeuse sur la terre sèche, et la digue qui la précédait avait la forme d’un remblais solide et recouvert de gazon. La rivière du Chien (Dog River)[4], petit affluent de la Saskatchaouane, conserve encore un établissement de ces animaux. Le long des rives nous en vîmes des traces fraîches, et même quelques petits arbres venaient d’être coupés. Ces indications que nous suivîmes, en remontant le cours, nous conduisirent à la digue. C’était un barrage formé de troncs et de branches, par-dessus lequel l’eau passait doucement pour aller reprendre à l’aval une course plus rapide. Dans la paisible mare qu’il formait en amont et tout proche de la rive opposée, s’élevait la demeure des castors, construction conique de six ou sept pieds de hauteur et formée de perches et de branches recouvertes d’un plâtrage de boue. Cet établissement doit remonter aussi à de bien lointaines années, car nous vîmes des troncs d’arbres que les castors avaient abattus et qui se trouvaient actuellement pourris et couverts de mousse. Il y en avait de grande taille et l’un d’eux avait plus de deux pieds de diamètre. Cela nous permit de constater que le castor a bien déchu de la gloire de ses ancêtres : non-seulement ses communautés sont moins nombreuses et moins étendues, mais encore ses entreprises ont perdu leur importance.

Ainsi les arbres coupés récemment étaient petits en comparaison des anciens ; ils semblaient indiquer que plusieurs castors avaient attaqué à la fois le même arbre

  1. Suite. — Voy. page 209.
  2. Larges semelles de bois.
  3. C’est l’orthographe de l’Académie ; les Anglais disent coude du pied ; les Allemands disent l’un et l’autre. (Trad.)
  4. Voy. la seconde carte.