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Canada ont découvert les Montagnes Rocheuses[1]. Un chemin sûr, allant de l’Atlantique au Pacifique, servira non-seulement à établir une communication entre les différentes colonies du nord de l’Amérique, mais encore à ouvrir des relations plus rapides avec la Chine et le Japon.

Ces indications suffisent pour qu’avec l’aide des deux cartes que nous reproduisons (pages 211 et 227) on se rende compte, de l’exploration de MM. Milton et Cheadle : ils s’étaient proposé de traverser les territoires de la Compagnie de la baie d’Hudson et l’un des cols septentrionaux des Montagnes Rocheuses dans la Colombie Britannique, de visiter les régions de l’or dans le Caribou, et d’étudier le pays inconnu au versant occidental des Montagnes Rocheuses, dans le voisinage des sources de la Thompson du Nord[2]. On verra par leur récit que malgré quelques déceptions et des aventures où ils ont eu l’occasion d’exercer leur courage, ils sont parvenus à suivre, assez fidèlement jusqu’à la fin, l’itinéraire qu’ils s’étaient tracé.


Départ. — Originaux. — De Québec à Lacrosse. — Les wagons dortoirs. — saint-Paul. — Saint-Antoine. — Saint-Cloud. — Sauk-Centre. — Le bon chien Rover.

Ce fut le 19 juin 1862 que le vicomte Milton et le docteur Cheadle s’embarquèrent sur le bateau à hélice l’Anglo-Saxon qui allait de Liverpool à Québec. La journée était sombre et brumeuse. Une petite pluie fine se mit à tomber comme le navire quittait l’embarcadère. Les vents étaient contraires et devaient persister pendant toute la traversée. Quelques figures originales que les deux voyageurs rencontrèrent sur le bâtiment les aidèrent à se tenir en bonne humeur. Une vieille dame, atteinte de papophobie, les amusait fort par ses amères lamentations, sur la coupable faiblesse qu’avait montrée S. M. la reine Victoria en acceptant de Pie IX le cadeau d’un buffet ; un Irlandais impétueux éclatait toujours en rires sonores, un colonel canadien les exposa à ne pouvoir réprimer des accès d’hilarité par son obstination à se considérer comme déshonoré parce qu’il avait le mal de mer. « N’est-ce pas une honte, s’écriait-il, une honte ! moi ! à mon âge, dans mon grade, un homme de ma valeur, couché à plat ventre sur le parquet, des heures entières, la tête au-dessus d’un vase, se montrant à toute la compagnie sous l’apparence d’une bête dégoûtante ! J’ai perdu le respect de moi-même, monsieur, j’en rougis ; jamais je ne relèverai la tête parmi mes semblables. »

Une rencontre plus précieuse fut celle d’un compatriote, d’un vrai gentleman, M. Treemiss qui allait aussi chasser le bison dans les prairies et qui devint leur compagnon.

Le navire atteignit Québec le 2 juillet[3], les voyageurs ne prirent que le temps d’admirer les glorieuses plaines d’Abraham, et sans retard, remontèrent le Saint-Laurent, puis le lac Ontanio, jusqu’à Toronto.

De Toronto, disent-ils, nous nous dirigeâmes sans perte de temps sur la Rivière Rouge.

En traversant aussi vite que possible par chemin de fer, Détroit et Chicago, nous arrivâmes à la Crosse, dans l’État de Wisconsin, sur les bords du Mississipi.

Durant ce long parcours, les wagons à coucher nous parurent une merveilleuse invention et nous nous en servîmes pour ne voyager guère que de nuit. Un wagon à coucher ressemble aux wagons ordinaires des chemins de fer. Il a, suivant la coutume américaine, un passage au centre ; mais chaque côté en est occupé par deux rangs de cases semblables à celles qui sont à bord d’un navire. Vous allez « à bord, » vous changez de vêtements, et vous vous mettez tranquillement à dormir. Le lendemain matin, vous êtes réveillé par le domestique nègre, à temps pour vous arrêter à votre destination. Vous avez joui d’une bonne nuit de repos, vos bottes sont bien cirées, le lavabo est à un des bouts du wagon, et vous avez la satisfaction d’avoir parcouru deux ou trois cents milles d’une traversée ennuyeuse, presque sans vous en être aperçu. Un rideau sépare les portions du wagon réservé aux dames du compartiment des hommes. Cependant il arriva une fois que, comme nous ne trouvions dans celui-ci que deux cases, Treemiss eut la faveur toute particulière d’être admis dans le quartier des dames, ou l’on ne reçoit ordinairement que des hommes mariés. Pour lui faire une place, deux dames et un monsieur eurent la bonté de se contenter d’une seule et même couche, assez grande il est vrai !

Ce fut à l’une des stations inférieures du Wisconsin que nous eûmes la première occasion de rencontrer un Indien à peau rouge dans son costume indigène. Il portait une chemise de cuir, des jambières et des moccasins ; une couverture était jetée sur ses épaules, et sa figure, aux traits hardis et beaux, était ornée de peinture. Adossé à un arbre, il fumait sa pipe avec majesté, sans daigner bouger ni montrer le plus mince intérêt au train qui filait devant lui.

À la Crosse nous prîmes un bateau à vapeur qui remontait ce Mississipi que les Indiens appellent la « Grande Rivière, » mais qui n’est ici qu’un cours d’eau comptant à peu près cent mètres de large, et après avoir traversé le lac Pépin[4], nous arrivâmes à Saint-Paul dans le Minnesota.

Cette ville, qui est la capitale de l’État de Minnesota est aussi la principale de celles qu’on trouve sur la frontière des États du nord-ouest[5]. Plus loin les collections de maisons qu’on appelle des cités diminuent par degrés jusqu’à n’être plus qu’une hutte, un avant-poste placé dans le désert. Une de celles où nous conduisait notre route, consistait en une seule maison sans habitant,

  1. Voy. sur le capitaine Palliser et son exploration des Montagnes Rocheuses, le Tour du Monde, t. 1, p. 274 à 294.
  2. La relation complète de MM. Milton et Cheadle, intitulée en anglais The north west Passage by land, etc., sera prochainement publiée en français, format in-8o, par la librairie Hachette.
  3. Voy. sur Québec le Tour du Monde, 1861, 1er semestre.
  4. Voy. le Tour du Monde, 1861, t. I, p. 471.
  5. À l’ouest du Minnesota, il n’y a plus que des territoires. (Trad.)