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La mer de sable. — Dessin de Karl Girardet.


VOYAGE AU SOUDAN ORIENTAL,


PAR M. TRÉMEAUX[1].


1848 — 1860. — TEXTE ET DESSINS INÉDITS.




Illusion de perspective au désert. — Abandon d’un chameau épuisé. — Apparences trompeuses. — L’intérieur d’une montagne. — Obligations impérieuses du désert. — Indice de Kramsine. — L’eau nauséabonde. — Le soleil scarifie la peau. — La tempête nous menace. — Précautions contre les pluies de sable. — Chaudes rafales du Kramsine. — On ne choisit pas son lit. — Marche pénible. — Un signe d’espoir. — La joie renaît. — Chants et danses des chameliers. — Un coin de verdure après le désert.

Le 9 février, cinquième jour de notre marche depuis Korosko, nous rencontrâmes quelques affleurements de granit brun, ensuite quelques calcaires argileux en roches, puis des rochers de diorite où les mineurs russes crurent reconnaître des sables aurifères.

Nous employâmes en ce lieu le reste du jour à remplir les outres et à faire reposer les chameaux. Pendant ce temps, je voulus franchir l’enceinte de montagnes qui nous environnaient. Elles sont formées de schiste argileux et ferrugineux. De leur sommet, la vue est de plus en plus triste ; de toute part, on ne voit que crêtes de rochers dénudés, entrecoupés de gorges au fond desquelles on trouve un mélange de gravier et de sable ; mais nulle part n’apparaît la moindre trace de vie ni de végétation. La désolation de ces lieux me ramena vite vers notre campement. Là, du moins, les chameliers remplissant leurs outres, les chameaux goûtant l’eau et l’abandonnant à cause de son amertume, puis, recommençant encore, poussés par la soif qui les aiguillonnait, tout cela causait quelque animation et récréait la vue.

Le 7 février au matin nous avions devant nous une montagne dont on voyait si distinctement la teinte sombre entre les sables brillants et le ciel, qu’elle nous parut être à peine à une heure ou deux de marche ; cependant, après avoir cheminé pendant quatre heures, nous étions encore loin de ce but ; plus nous avancions et plus il nous semblait éloigné tout en paraissant grandir devant nos yeux. Nous n’atteignîmes que fort tard dans la soirée le pied de cette montagne pour y établir notre campement.

Gens et animaux commençaient se fatiguer d’une si longue et pénible route, car ce n’est que rarement et pour quelques instants seulement, que les chameliers se hissent au sommet de la charge de leurs chameaux pour s’y reposer sans les arrêter. Les excitations devenaient à chaque instant plus nécessaires ; les conducteurs répétaient plus fréquemment le cri usité : hot, hot, hot, pour encourager les chameaux à la marche ; mais ceux-ci chancelaient sous leur charge. L’un d’eux, malgré tous les efforts de son conducteur pour ranimer son ardeur, plia les jambes et se coucha sur le sol. En vain ce dernier l’excita-t-il, le poussa-t-il du geste et de la voix, le reste de sa charge dut être réparti sur les autres ; néanmoins le chameau abattu ne bougea pas. L’homme

  1. Suite. — Voy. page 152.