Dans la partie nord-ouest de l’ovale que je viens de décrire, l’antiquaire et le romancier peuvent trouver à glaner autant que l’agronome et le botaniste.
Non loin du village d’Anglards, qui se glorifie d’un dolmen sur sa place publique et d’un menhir surmonté d’une croix, dans sa banlieue, un archéologue de Mauriac a voulu obstinément me faire fouler le plus grand champ de bataille de l’histoire ; celui où les derniers des Gallo-Romains unis aux premiers Francs et Visigoths romanisés, brisèrent dans des flots de sang la ligue des hordes sauvages de nomades qui tentèrent sous Attila de remettre la terre entière en pâturages.
Aux citations de tous nos historiens modernes qui placent ce grand fait dans les plaines de Champagne, mon antiquaire opposait un passage vague de Grégoire de Tours mal interprété par quelques moines du moyen âge, et je perdis mon temps à lui demander comment un million d’hommes et de chevaux aurait pu manœuvrer et se heurter entre le Mont-Dore et le Cantal, et comment Attila une fois vaincu, ayant derrière lui la chaîne du Césalier, les précipices et les monts de l’Allier, de la Loire et du Rhône, aurait pu regagner le Rhin, traînant, dans ses milliers de chariots, tout un peuple de non combattants.
« Cette région est l’antre du lion, » disait un jour le maréchal Soult à un cercle d’intimes, « un ennemi peut y pénétrer, mais non en sortir. C’est là qu’après Toulouse, si la paix ne fut venue, je voulais attirer Wellington. »
Cette objection eût pu toucher un militaire, mais un archéologue ne se laisse pas désarçonner pour si peu.
En inclinant un peu au nord-est, derrière les montagnes qui abritent la commune de Saint-Vincent, j’ai visité dans un bois traversé par le Marlhiou, ruisseau descendant du Suc-Rond, des ruines sur lesquelles l’esprit spéculatif du même savant s’est exercé outre mesure. Ce sont des vestiges d’habitations grossièrement bâties en pierres brutes et sans ciment ; une espèce d’enceinte également en pierres brutes, étayée par une sorte de boulevard de terre amoncelée et battue, lui sert de ceinture. On donne à cet ensemble le nom de ville de Cotteughe. L’histoire est muette en ce qui la concerne, mais il en est autrement de la légende. Suivant elle, Cotteughe fut autrefois habitée par les fées, qui y ont laissé des trésors immenses qu’elles viennent souvent rechercher au milieu des débris, témoin un montagnard qui fit, il y a quelques années, la rencontre d’une petite vieille toute décrépite et traînant à grand-peine une énorme marmite de bronze sans doute remplie d’or. Bien que vieille et marmite se soient évanouies à la vue de l’homme, on sait cependant où gisent ces trésors ; au plus épais de la forêt est une vaste dalle portant un anneau bronzé, cette dalle recouvre l’entrée du souterrain où ils sont enfouis, mais des pierres et des buissons la recouvrent, et il n’est donné à personne de la découvrir, sinon le jeudi saint ou le dimanche de Pâques, pendant la célébration de l’office. Ces renseignements n’ont pas suffi jusqu’ici, et la précieuse dalle est toujours à trouver.
IV
Quand on s’éloigne d’Aurillac par la route de Murat, il faut contourner par le sud le massif, haut de 800 mètres, qui porte les signaux topographiques de Fontrouge et de Corny, remonter l’étroit vallon de Giou-de-Mamou et redescendre encore une fois vers le sud avant de déboucher dans la vallée de la Cère, un peu en aval du bourg d’Yolet.
Ce trajet de huit kilomètres forme, presque sur tout son parcours, comme une galerie géologique où les révolutions qui ont formé le sol de la contrée étalent clairement toutes leurs phases. Là, sur les assises sédimentaires des primitifs calcaires, se succèdent, dans un ordre méthodique, les épaisses couches de sable et de cailloux roulés par les eaux de l’ancien lac, les tufs poreux provenant des premières émissions volcaniques, les conglomérats et les brèches, formés de fragments de roches éruptives, puis enfin les dyckes et les traînées de trachytes compacts ; chacun de ces courants de matières en fusion ayant labouré, relevé et retourné l’assise inférieure comme le soc de la charrue fait de la glèbe après la moisson. Par-dessus tous ces dépôts, ou bouillonnèrent à leurs heures la vie à ses premiers essais et les forces brutes de la nature, s’étend comme un linceul une nappe immense de basalte.
Lourd monument funéraire pour les espèces organisées qu’il recouvre ! Empâtés dans les calcaires inférieurs, on peut reconnaître de petits coquillages du genre helix pour la plupart et dont les analogues vivants se retrouvent encore dans les eaux des contrées méridionales. Dans les couches de sables et de silex mises à nu le long des parois de la route, j’ai recueilli de petites planorbes rappelant, par la taille et la forme, celles de nos marais actuels, et dont la main du temps n’a pas encore fait disparaître le test nacré. Dans des lits d’argile, j’ai encore remarqué quelques empreintes de plantes paludéennes et de feuilles, appartenant à la flore de l’époque actuelle, et c’est tout. Puis on débouche sur les bords de la Cère, où tout change d’aspect dans le paysage et d’impressions dans l’âme du voyageur. « C’est la reine de nos vallées, » disent les habitants du Cantal, et ils ont raison, si ce mot, emprunté à la langue du vieux monde, signifie encore pour eux la meilleure et la plus belle ; car tout ce qui frappe ou séduit le regard, charme ou élève l’intelligence dans les autres dépressions de ce massif volcanique, se retrouve dans celle-ci, lié, fondu en un éblouissant et harmonieux faisceau.
« Quand on y arrive après avoir traversé la montagne, » me disait plus tard un citadin de Clermont, « on croit rentrer dans la Limagne. »
Ce terme de comparaison est pour un natif du Puy de Dôme le superlatif de l’éloge ; mais il manque de justesse, comme en manquerait un parallèle artistique entre l’immense composition où le Véronèse a représenté les Noces de Cana, et la ravissante petite toile où Léonard