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de tempête ou d’orage, écrête, ravine le fragile rebord, et change le plan horizontal en talus incliné sur le précipice, est inscrite sur la carte du département, sous le no 14[1] et devait servir de tête à une route départementale, reliant directement Salers à Murat ; elle n’atteint encore, après bien des années, que les bois du Falgoux ; et, à en juger par les obstacles qu’il y aurait à vaincre pour l’en faire sortir, il est à supposer qu’elle n’ira jamais plus loin. Sur tout son parcours, entre mille et douze cents mètres d’élévation absolue, le refroidissement de l’atmosphère était déjà très-sensible. Bien que nous ne fussions qu’au commencement d’août, une couche blanche, répandue sur le vert tapis de la vallée, où nos regards plongeaient à pic, trahissait le passage d’une gelée précoce pendant la dernière nuit.

Les perturbations que la pluie du jour précédent avait jetées dans l’atmosphère de ces montagnes, se traduisaient en rafales glacées, tombant lourdement des plateaux et des sommets voisins sur chaque angle saillant de la corniche qu’elles balayaient assez violemment pour nous faire regretter tout au moins la légèreté de nos vêtements de voyage.

Mais sur notre droite s’étale un paysage qui nous fait tout oublier. C’est le vallon de la Maronne, décrivant de l’est à l’ouest une courbe mollement arrondie autour de la base septentrionale du Puy Violent. Ce sont bien loin au-dessous de nous les hameaux de Saint-Paul, de Recuset, de Couderc, semés comme des nids d’églogues dans une verdure intense. C’est, à une profondeur plus grande encore, la rivière, recueillant dans un lit rocheux le tribut de mille ruisselets formés dans le gazon des prairies, ou suintant le long des hautes falaises, et franchissant elle-même en cascades bruyantes, les dykes de trachyte noir qui courent encore, comme des racines communes, d’une base à l’autre des montagnes dont l’écartement a formé la vallée ; c’est enfin le contraste complet qu’offrent les deux revers de ce bassin.

Tandis que dans la paroi dont nous suivons la crête, l’œil le moins exercé peut facilement reconnaître la présence de cinq ou six courants épais de basalte, séparés les uns des autres par de simples lits de leurs propres scories et ayant pour base commune un dépôt plus épais encore de conglomérats trachytiques, formant un talus plus ou moins incliné vers les prairies basses, sous lesquelles il se perd ; le versant opposé n’offre aux regards que d’énormes falaises, de même origine ignée, mais échafaudées en gradins gigantesques et revêtues de noires sapinières, depuis la lisière de la vallée jusqu’aux limites des pâturages du Puy Violent, dont ils semblent, pour une face du moins, le glorieux piédestal.


Maison sur la place de Salers. — Dessin de Lancelot d’après l’album de M. Henri de Lanoye.

Une section de cette paroi forestière nous est désignée par notre guide, comme le bois aux loups, parce que, inaccessible à l’homme et même aux limiers les mieux dressés, elle offre un repaire sûr à l’ennemi le plus dangereux des troupeaux du Cantal. Au centre de cette zone, une dépression du sol, indiquée par une teinte plus sombre de la végétation, est coupée nettement par une ligne blanche et scintillante, dessinant sur un parcours de plus de mille mètres le passage d’un torrent. Le long d’une pente de 45° à 50° d’inclinaison, il glisse, s’allonge et bondit parmi les troncs séculaires et les rochers moussus, jusqu’au point où atteignant la plus basse assise des couches basaltiques, il s’étale en large nappe sur une noire tablette de cette roche, et se précipite d’un bond de dix-huit à vingt mètres, dans un beau bassin ovale, dont le trop plein s’épanche vers la Maronne en onde cristalline, bordée de fleurs et de gazon.

Le département du Cantal renferme un grand nombre de cascades renommées ; celle-ci n’est, je crois, désignée nulle part, et pourtant, ni la chute tant vantée de l’Auze, entre Anglards et Salins, ni même les cataractes de la Rue, connues sous le nom de saut-de-la-Saule, ne m’ont impressionné comme ce torrent ignoré de la côte de Saint-Paul.

La supériorité que j’ai cru lui reconnaître sur les

  1. En notant ici ce chiffre, je cède à une recommandation expresse des bons Salersois.