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tout autour du camp. Les guelfes ne donnèrent pas de quartier ; ils voulurent avoir leur revanche de Monte-Aperti.

Depuis cette bataille, qui termina la guerre d’une manière décisive, Sienne cesse d’être gibeline, et c’est Arezzo qui devient à son tour le centre de ce parti. Mais les fuorusciti ne purent jamais se relever de ce désastre, et la bataille de Campaldino, vingt ans jour pour jour après celle de Colle[1], finissait d’abattre, et cette fois pour toujours, la fortune des gibelins.

Ainsi, après dix ans de lutte, Sienne rouvrait ses portes aux vaincus de Monte-Aperti. Une fois rentrés, les guelfes se hâtèrent, malgré la foi jurée, de chasser les gibelins et de raser leurs maisons. C’était Charles qui leur ordonnait de traiter les rebelles le plus durement qu’on pourrait[2]. Il ne fut que trop obéi. Une loi de 1277 déclara inhabiles à siéger dans la suprême magistrature, non-seulement les nobles, mais aussi le peuple, réservant le gouvernement aux bons et loyaux marchands, affectionnés au parti guelfe. C’est ainsi que la bourgeoisie triomphante se faisait des ennemis dans les deux camps opposés, et, en jetant au milieu de la république la pomme de discorde, préparait la ruine de la liberté.

Cette faction, qu’on appela l’Ordine ou Monte del Nove[3], resta au pouvoir soixante-dix ans. Durant cette période, la ville s’enrichit beaucoup dans les trafics, augmenta de population, et s’embellit de remarquables monuments. Ce fut alors qu’on éleva le palais de la République et la tour du Mangia, et qu’on prolongea la cathédrale sur le Baptistère. Mais le caractère exclusif de ce gouvernement le rendant chaque jour plus odieux, il dut enfin tomber sous les efforts combinés du peuple et de l’aristocratie, qui occupèrent le palais et se partagèrent le pouvoir.

Dès ce moment commence une série interminable d’altérations dans l’ordre politique ; le gouvernement passe presque chaque jour d’un parti à l’autre. Il ne serait pas trop facile de suivre le passage éphémère au pouvoir de toutes ces factions, dont il est déjà long de reporter les noms : Peuple, Neuf, Douze, Quinze réformateurs, Nobles, Agrégés ; même la Contrada del Bruco devint un parti politique et partagea à son tour les honneurs du gouvernement. Il nous suffira de dire que du 2 septembre 1368 au 18 janvier 1369 (quatre mois et demi), on ne compte pas moins de cinq révolutions[4] !

Ce peuple, épuisé par une perpétuelle anarchie, ne pouvait pas échapper à la domination étrangère. En effet, Charles, duc de Calabre, avait eu en 1326 le gouvernement de la ville pour cinq ans ; l’empereur Charles IV, après avoir fait et défait maintes magistratures, domina aussi quelque temps la république ; enfin, Sienne n’eut pas honte d’accepter avec joie et de subir pendant trois ans la tyrannie brutale de ce Visconti, qui, par une mauvaise plaisanterie du hasard, s’appelait comte de Vertu.

Il y aurait eu sans doute moins de dégradation si quelque famille siennoise se fût emparée des libertés publiques ; ce qui serait arrivé si Pandolfo Petrucci, surnommé le Magnifico, qui domina dans ses dernières années sa ville natale, et qui avait tout ce qu’il faillait pour fonder une principauté bourgeoise, eût laissé des enfants semblables à lui. Mais après sa mort (1512), le gouvernement de la république, que la main vigoureuse et prudente du Magnifico ne dirigeait plus, ne fut plus à Sienne, mais à Rome, dans les cabinets de Léon X et de Clément VII.

Les Siennois, poussés peut-être par leur rancune contre Florence, suivirent la fortune de Charles V. Ils eurent pourtant grand tort de se réjouir de la chute de leur ancienne rivale[5] ; le jeune prince, qui siégeait dans le Palazzo Vecchio, avisait déjà aux moyens de se faire appeler duc de Sienne.

La domination espagnole ne tarda pas à se rendre insupportable. Don Diego de Mendozza, non content de se mêler chaque jour de leurs affaires, désarma les Siennois, et entreprit la construction d’une forteresse pour les dominer (1550). Cela suffit pour dégoûter à jamais les Siennois des Espagnols, et pour les jeter dans les bras de la France.

Profitant de l’absence de Mendozza, Enea Piccolomini, jeune homme plein de courage et amoureux de la liberté, pénétra dans Sienne avec quelques forces qu’il avait recrutées à la campagne, fit insurger le peuple, et força les Espagnols à se renfermer dans la forteresse. Ne recevant pas de secours, la garnison dut capituler et sortir de la ville ; le jour même (27 juillet 1552), les Siennois rasèrent les remparts qui les gênaient si fort. Mais, quant à la liberté, il ne fallait pas y songer. Il ne s’agissait plus que de savoir qui resterait en définitive le maître : l’empereur ou le roi de France, ou bien

  1. 11 juin 1289. — Dante, alors âgé de vingt-quatre ans, combattait ce jour-là dans les rangs des guelfes de Florence. L’évêque d’Arezzo, grande guerriere, comme a dit un chroniqueur du temps, conduisait les gibelins au combat, et resta sur le champ de bataille.
  2. Ribelles quam durius poteretis aggravetis, écrivait-il aux Siennois dans un diplôme, qu’on peut voir aux archives de Florence. Au demeurant, le bon rot Charles ne manquait pas d’ajouter l’exemple au précepte.
  3. Ce nom lui venait du nombre des individus qui faisaient partie alors de la magistrature.
  4. 2 septembre 1368. — Les Nobles chassent les Douze, et font un nouveau gouvernement composé de treize de l’ordre des Nobles et de trois des Neuf.

    24 septembre. — Après vingt-deux jours, ce gouvernement est à son tour expulsé par les Salimbeni, d’accord avec les Douze, et appuyés par cinq cents chevaux envoyés par l’empereur Charles IV. On installe un nouveau gouvernement, dans lequel entrent trois des Neuf, cinq du Peuple et quatre des Douze.

    11 décembre. — Les ouvriers de la Contrada del Bruco chassent cette magistrature et la remplacent par une autre, dite des Quinze réformateurs, exclusivement tirés du peuple.

    18 janvier 1369. — Les Salimbeni, les Douze et Charles LV chassent du palais les Quinze réformateurs.

    Le même jour. — Le peuple bat l’empereur et réintègre les Quinze dans le gouvernement.

    Lorsque les Quinze furent enfin dépossédés par les Douze, on n’exila pas moins de quatre mille personnes du parti vaincu, presque tous artistes et ouvriers, ce qui entraîna la ruine des industries de la ville.

  5. Sienne prêta de l’artillerie à l’armée impériale pour le siége de Florence.