sée dans les grottes et cavernes dont abondent les falaises basaltiques de la Bertrande, et du fond de ces repaires levaient des contributions noires sur tout le pays environnant ; sur les manoirs féodaux comme sur les chaumines. Le marquis de Saint-Chamand, qui voyait ses domaines en butte à leurs déprédations, était impuissant, non-seulement à les réprimer, mais même à en garantir les murs de son castel. Eh bien, que pensez vous qu’il fit, lorsque le prévôt de la province, instruit de cet état de chose, vint pour y mettre un terme avec un détachement d’archers royaux ? Le noble seigneur se rappela qu’il possédait sur ses terres le droit de haute et basse justice, et, pour empêcher l’intrusion de la main de l’État dans ses vains priviléges, il retrouva une énergie qu’il avait laissé dormir avec la rapière de ses ancêtres tant qu’il ne s’était agi que de l’honneur, des biens, ou de la vie de ses vassaux. Il appela à la rescousse de la dignité féodale compromise, les hobereaux du voisinage, et tous ensemble ils assaillirent la maréchaussée au moment où celle-ci était déjà aux prises avec les voleurs et routiers. Plusieurs braves soldats du roi tombèrent sous l’épée des gentilshommes. Mais sans se laisser intimider, le prévôt fit face à tous ses adversaires et si bien que force resta à la loi. Il captura les bandits des cavernes et la plupart de leurs nobles alliés. Les premiers furent naturellement pendus, les seconds en furent quittes pour une courte détention et une longue semonce. Quelques années plus tard, sous Armand du Plessis, le grand cardinal, ils auraient payé plus chèrement leur équipée.
Pendant cette légère excursion rétrospective dans l’espace et dans le temps, nous avons atteint le revers nord du plateau de Loubéjac et nous descendons dans la vallée de la Maronne par une sorte d’escalier en zigzag dont l’inclinaison, les replis multipliés et les angles aigus mettent à une rude épreuve les pieds et les reins de notre cheval, ainsi que le coup d’œil et les poignets de son conducteur. Celui-ci baisse la tête lorsqu’au bas de cette affreuse descente nous rejoignons la nouvelle route qu’il n’a pas voulu suivre et dont je lui fais remarquer les pentes douces et l’excellente chaussée ; puis pour échapper à sa courte honte il nous lance au grand trot à travers le pont et les rues du bourg de Saint-Martin !
Saint-Martin-Valmeroux (de Vallis-Maronnæ, disent
les étymologistes) n’est une localité à dédaigner pour
aucune classe de touristes. L’archéologue se souviendra
qu’elle fut le siége d’un des quatre bailliages de la
Haute-Auvergne sous les premiers Valois et visitera son
église, œuvre du quatorzième siècle, rangée dans la
classe des monuments historiques de France : le botaniste
s’oubliera dans ses belles prairies en cherchant à
cataloguer l’infinie variété de leur flore herbagère, dont
l’agronome admirera les qualités nourricières. Sous ce
riche et verdoyant tapis, le géologue constatera la présence
d’un sous-sol primitif, affleurant le long de la
Maronne, en blocs de gneiss et d’autres roches granitoïdes ;
sur la rive gauche de la rivière, un peu en
aval de la bourgade, le malade et le médecin iront visiter
avec profit la source minérale de Font-Sainte, qui
jaillit, fraîche, limpide, acidulée et légèrement ferrugineuse,
à l’ombre d’un groupe de tilleuls, au milieu d’une
verte pelouse bordée d’un hémicycle de futaies. Il est
difficile de trouver pour la villégiature d’un convalescent
un cadre mieux doué de grâce, de calme et de fraîcheur.
Telle est la vallée de la Maronne, depuis les
pentes molles et gazonnées du mont Violent, qui ferment
la perspective à l’Orient, jusqu’aux limites occidentales
du terrain volcanique. Au delà, ce cours d’eau,
comme tous ceux qui descendent de ce côté du Cantal,
s’enfonce péniblement dans un étroit chenal scié dans le
granit. Et quiconque, du haut du revers septentrional de
la vallée, en embrassera l’ensemble dans les mêmes circonstances
que moi, après un long jour de pluie, alors
que les pans déchirés de la coupole nuageuse, s’affaissant
en large plis derrière les cimes lointaines, laissent
tomber, des profondeurs de l’azur immaculé, des ondulations
de lumière vermeille sur le manteau étincelant
des prairies, sur les lignes sinueuses des coteaux
et des forêts humides, celui-là, dis-je, quel qu’il soit,
emportera, comme je le fis, de cette contemplation, un
doux souvenir et comme un terme de comparaison pour
tout berceau d’idylles ou de romans champêtres.
Entre Saint-Martin et Salers, que je voulais atteindre avant la nuit, la carte de l’état-major indique à peine six mille mètres qu’on pourrait franchir en moins d’une heure, en remontant doucement la vallée. Mais séparées au moyen âge par des rivalités d’intérêts et de suprématie, ces deux localités, au moyen de détours, d’angles et de crochets, ingénieusement combinés avec les aspérités du sol, sont parvenues à doubler au moins l’intervalle précité. En conséquence nous dûmes tout d’abord tourner le dos au but que nous cherchions, gravir lentement une longue rampe et nous replier ensuite successivement vers chacune des aires de l’horizon avant de pouvoir nous rabattre à l’est, seule direction logique.
Dès qu’on a perdu de vue les bords de la Maronne, le paysage change d’aspect. C’est le commencement de l’Artense, section de la Haute-Auvergne, comprise entre le bassin de la Rue au midi, le pic de Sancy au nord, la chaîne du Césalier à l’orient et la Dordogne à l’ouest ; plateau nu et froid, aux limites vagues, aux découpures profondes, mais sans profil sur l’horizon et par conséquent imperceptibles à quelque distance de leurs berges (voy. p. 77). À l’extrémité d’un long promontoire basaltique, jeté entre cette espèce de steppe et le groupe des cîmes cantaliennes, une étrange silhouette grise se dresse, comme découpée dans le roc vif ; c’est la cité de Salers. Son apparition nous reporte en arrière dans le passé, plus loin que les grands jours d’Auvergne. Bâtie en basalte, elle est resserrée comme un nid d’aigle sur un escarpement de même roche. Des murailles féodales l’entourent ; des ruelles noires, pavées et bordées de tronçons de basalte y donnent péniblement accès ; d’autres voies plus étroites, plus sombres encore, la découpent et ne communiquent entre elles que par des voûtes qui