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mentation, de plus délicat et de plus expressif en bas-reliefs religieux. Il y a là surtout six petits anges accompagnant le Christ sur la voie douloureuse, qui sont adorables de modelé, de grâce et de mélancolie. Ces sculptures datent du quinzième siècle, et proviennent d’une église démolie dans la révolution et qu’avait élevée non loin de là, à Saint-Chamand, un Robert de Balzac, sire d’Entraigues, cherchant, par cette pieuse fondation, à étouffer les murmures de sa conscience, fréquemment troublée par la grosse part que le bon roi Louis XI lui avait faite dans la dépouille du pauvre Jacques d’Armagnac, dont on sait le destin.

Le portail de l’église de Saint-Cernin s’ouvre sur une plate-forme ou terrasse, d’où, par un ciel clair, on embrasse d’un coup d’œil toute la section du bassin de la Doire, comprise entre les quatre tours d’Anjony-Tournemire en amont[1], et, en aval, le sombre ravin que dominent les débris du donjon de Marze, une des ruines les plus frustes de la féodalité auvergnate. C’est un paysage doux et grandiose à la fois, comme j’ai pu m’en assurer quelques jours plus tard ; mais, pour le moment, je dus croire sur parole l’excellent M. Durif, affirmant que « nulle part on ne peut respirer un air plus limpide, au milieu d’un site plus riant [2]. »

Sur la foi d’une modeste éclaircie, entr’ouvrant la nuée sous le vent, nous reprîmes la route du nord. Du sommet de la côte où s’échelonnent les maisons de Saint-Cernin, une descente rapide nous amena à un étranglement de la vallée où la Doire n’est plus qu’un ravin, réduit à la largeur du pont qui le traverse. Là disparaissent les dernières traces des sédiments et des dépôts lacustres dont on peut suivre les traces depuis Mur-de-Barez à 45 kilomètres dans le sud-est. La rampe escarpée que nous gravissons ensuite, appartient à cette immense nappe de matières vitrifiées que les bouches ignivomes du Cantal ont projetée vers le nord, à la rencontre, pour ainsi dire, de celle qui s’est épanchée des flancs méridionaux des monts Dores.

La Tour de Marze. — Dessin de Lancelot d’après l’album de M. Henri de Lanoye.

Nous pûmes bientôt juger de l’énorme épaisseur de cette nappe, par les parois abruptes du vallon de la Bertrande. Leurs lignes horizontales, leurs angles correspondants étaient aux regards les couches superposées des différentes roches volcaniques, conglomérats, trachytes et basaltes, à travers lesquelles cette tranchée, profonde de cent cinquante à deux cents mètres, s’est excavée jusque sur le granit primordial que les eaux de la rivière lavent et mettent à jour sur plus d’un point.

Descendant de l’est à l’ouest en ligne directe, et pouvant être remontée, d’un coup d’œil, jusqu’à la base du Puy de Chavaroche, au centre des grands monts, le vallon de la Bertrande, — bien qu’un des moins importants des dix-neuf bassins dont les convulsions souterraines et les érosions de l’air et des eaux ont sillonné les flancs du Cantal, — présente à l’étude un spécimen à peu près complet de ces déchirures du sol vulcanien, qui donnent un cachet particulier à toute cette contrée. S’il

  1. Le château d’Anjony est, ainsi que le petit village de Tournemire qu’il domine, construit sur un conglomérat volcanique, très-escarpé du côté de la vallée. Ce spécimen, parfaitement conservé, des manoirs féodaux du quatorzième siècle, consiste en un donjon carré, flanqué, à chaque angle, d’une tour ronde très-élevée. L’une d’elles renferme une chapelle dont les murs sont décorés de fresques précieuses pour l’art et l’archéologie. Le marquis de Léothoing qui possédait ce château, il y a une trentaine d’années, y avait réuni une collection de meubles, d’émaux et de tapisseries des derniers siècles, de tableaux de familles et de portraits historiques qui en faisaient un véritable musée dans le genre de celui de Cluny.

    Voir à ce sujet la description historique et scientifique de la Haute-Auvergne, par M. Bouillet, de Clermont, un des écrivains les plus érudits dont s’honore la province.

  2. Guide du voyageur dans le Cantal, p. 250.