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des collections d’art, d’archéologie et d’histoire naturelle, qui n’ont que le tort de prétendre au titre de musées ; n’oublions pas un palais de justice en construction, qui, avec ses annexes (une prison et une caserne de gendarmerie) encadrera la place d’armes, ou foiral, de grandes lignes architecturales, un dépôt de remonte, un haras affecté au maintien et à l’amélioration de la bonne et solide race chevaline de l’Auvergne, et enfin un hippodrome ou champ de courses, ce dernier et suprême produit de la civilisation moderne.

J’ai gardé pour la fin de cette longue énumération un monument dont toute ville, si grande, si parée qu’elle soit, pourrait être fière, la statue en bronze de Gerbert, pâtre auvergnat qui fut le pape Sylvestre II.

C’est une des dernières œuvres, par la date, mais non par le mérite, de David d’Angers, auquel un tel sujet a dû plaire ; car, dans la pensée du statuaire, un guide comme Gerbert ne pouvait intimer à l’humanité d’autre commandement que celui de en avant, en avant !

Ce n’est pas sans émotion que dans une des nombreuses figurines des trois bas-reliefs qui décorent le piédestal, j’ai retrouvé les traits austères et mélancoliques de l’éminent sculpteur ; c’est une page aimée qu’il a signée de son portrait.

Ma première visite dans Aurillac avait été pour Gerbert, ma seconde fut pour le berceau de saint Géraud. Le château de Saint-Étienne, ce manoir d’un leude carolingien, cette citadelle des suzerains mitrés d’Aurillac abrite aujourd’hui l’École normale des instituteurs primaires du Cantal. Les glacis de l’antique forteresse, ses chemins couverts, ses courtines, ses fossés, ses fausses braies sont métamorphosées en potagers, en espaliers, en pépinières, en semis de plantes usuelles, ou recommandées par la science à l’agriculture. Une cour étroite, mais bien sablée et arrosée, a remplacé l’antique poterne, et l’on monte au préau entre deux rangées, non de mâchicoulis, mais de lauriers-roses et de géraniums. Dans la vieille salle d’armes, humanisée, je me suis longtemps arrêté à contempler une bibliothèque bien choisie, un cabinet de physique assez complet et une collection soigneusement classée des roches et minéraux de l’Auvergne. Tout enfin témoigne, dans cet établissement dirigé par des frères de la doctrine chrétienne, d’une tendance sérieuse vers le niveau des connaissances générales, et la science pratique de notre temps.

Le château d’Anjony-Tournemire (voy. p. 76). — Dessin de Lancelot d’après l’album de M. Henri de Lanoye.

Comme j’en félicitais sincèrement celui des frères qui nous pilotait sous les voûtes du vieux manoir, il sourit et se contenta de s’incliner légèrement ; nous montions en ce moment l’escalier de la tour même de Saint-Étienne ; lorsque nous eûmes atteint la plate-forme : « Voici, me dit-il, un beau panorama ! il faut venir dans les montagnes pour en trouver de pareils. En face de nous, derrière la colline du Buis, vous pouvez suivre la ligne dentelée des sommités du Cantal ; ce grand promontoire violacé qui se projette du groupe central dans l’horizon du nord, c’est la longue coulée basaltique que couronne le puy Violent. À l’opposé, cette plaine qui semble entourer le pied méridional de nos montagnes de ses sinuosités verdoyantes, tachetées de jaune pâle par les chaumes nouvellement moissonnés, c’est le riche bassin d’Arpajon, notre petite Limagne. Cette zone noire qui la borde du midi au couchant ce sont les coteaux boisés qui resserrent le cours inférieur de la Cère, c’est la forêt de Marmiesse et d’Ytrac, toute frangée de métairies, de cultures et de villas. Sous nos pieds enfin la cité d’Aurillac déploie en éventail ses constructions d’âges divers, ses rues chargées de l’ombre des siècles, ses boulevards, ses avenues modernes, et sa ceinture de prairies et de jardins où la Jordanne, débouchant de sa haute vallée plutonienne, épanche par de nombreux canaux la fécondité et la vie.