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La fenaison dans la vallée de Maurs. — Dessin de Jules Laurens.


VOYAGE AUX VOLCANS DE LA FRANCE CENTRALE,


PAR M. FERDINAND DE LANOYE.


1864. — TEXTE ET DESSINS INÉDITS.


De Paris à Figeac. — Les premiers gradins de la Haute-Auvergne. — Aspect du groupe du Cantal. — Légende d’un saint du paradis et d’un émigré de l’Olympe. — La vallée d’Aurillac. — Coup d’œil sur le passé de cette ville. — Le saint, son fondateur et son patron. — État et monuments actuels d’Aurillac. — La statue de Gerbert. — Ce qu’est devenu le manoir des comtes Géraud, etc.

Qui jamais, — par une belle matinée d’été, alors que des guérets en fleur et du fond des bois perlés de rosée s’élèvent vers le ciel bleu les plus saines effluves de la terre, — a pu s’éloigner de Paris sans une sorte d’ivresse, un profond sentiment de joie ? Ce n’est, certes, aucun de ceux qui, enfermés de bonne heure dans sa bruyante enceinte, y ont vieilli, traînant, comme le boulet du galérien, l’incurable nostalgie des champs couverts de moissons, des horizons sans bornes et des solitudes silencieuses. Je suis de ceux-là, pensai-je, en commençant, le 26 juillet 1864, sur le chemin de fer d’Orléans, une excursion qui devait aboutir en Auvergne. — Oui, je suis de ceux-là… « mais ne nous brouillons pas avec… la grande ville. » (C’était l’avis de Prusias, homme sage, suivant Tite Live et le grand Corneille ; c’est aussi le mien.

D’ailleurs j’ai à entretenir mes lecteurs non des impressions intimes d’une chétive individualité humaine, mais d’une contrée qui offre à l’étude, tout frais et comme saignants encore, les stigmates des convulsions que subit le sein de la vieille Gaule, avant que l’homme, le dernier né de la création, fût venu l’exploiter et le déchirer à son tour.

Passons donc ! la vapeur nous permet de dévorer l’espace. Peu de jours après mon départ, le train direct de Périgueux me déposait à la station de Figeac, presque sur les confins des anciens Ruteni, l’Aveyron actuel.

Venant de franchir sans m’arrêter une courbe de plus de huit cents kilomètres à travers une des plus belles zones et quelques-unes des plus belles villes de France, je ne pouvais donner beaucoup de temps à la petite sons-préfecture de Figeac, en dépit de sa physionomie semi-languedocienne et du cadre de verdure où l’enserre l’étroit bassin du Celé. Aussi, après un court pèlerinage à une sorte d’obélisque surmonté d’un buste en bronze que la cité a consacré à la mémoire de Champollion l’égyptologue, son plus glorieux fils (chétif monument pour un tel nom), je dis adieu au midi de la France, dont je venais de longer la lisière depuis Coutras ; j’échangeai les moelleux coussins du wagon qui m’avait bercé jusque-là pour la rude et étroite banquette d’une antique diligence, baptisée du nom plus moderne d’omnibus, par coquetterie sans-doute pour le chemin de fer dont elle dessert la correspondance avec Aurillac, et le vénérable véhicule m’emporta, au petit trot, vers cette métropole de la Haute-Auvergne.

La route que nous suivions et qui porte le no 122 accolé à l’épithète d’impériale, traverse une contrée que l’on regretterait de franchir d’une allure moins modeste. C’est une suite d’arêtes parallèles, bordant autant de profondes dépressions, inclinées vers le Célé. Des schistes noirs, des granits gris de fer en hérissent les escarpements ; des bouquets de chênes en ombragent les pentes ; des prés d’un beau vert en tapissent les concavités sinueuses, où sous des franges d’aulnes gazouillent d’invisibles ruisseaux, tandis que sur les plateaux intermédiaires de grandes châtaigneraies disputent le sol à de maigres céréales ou à de vastes plates-bandes de bruyères dessinant en teintes roses les ondulations du terrain et les berges de ses déchirures. Cette nature étrange, mais non sans grandeur, impressionnait aisément mon compagnon de voyage (car j’en avais un, Dieu merci ! et je saisis cette occasion pour le présenter à mes lecteurs). Enfant de Paris, ne s’étant