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qui nous fatigue. Nous faisons d’ailleurs beaucoup plus de chemin qu’il ne serait nécessaire, parce que nous voulons éviter de passer dans les villages ; et puis la température est suffocante ; on boit énormément, et l’on ne prend pas la peine d’épurer l’eau qu’on absorbe avec avidité. Je n’ai jamais été aussi fatigué de la chaleur que dans les bas-fonds qui avoisinent le Zambèse ; et cependant elle y est moins vive que sur les hautes terres que nous avons traversées.


VII


Arrivée aux établissements portugais du Zambèse Têté. — Senna. — Fort de Quilimani. — Adieux aux Makololos. — Fin de ce premier voyage.

… Le commandant de Têté, señhor d’Araujo Sicard, m’a parfaitement accueilli, et s’efforce de m’arracher à l’état de maigreur où je me trouve réduit ; il insiste pour que je reste avec lui au moins pendant tout un mois, de manière à être assez vigoureux pour braver les effets du pays insalubre qu’il me reste à franchir ; il a généreusement approvisionné de millet tous mes hommes, et en les hébergeant dans l’une de ses maisons, jusqu’à ce qu’ils aient construit leurs cases, il les a préservés de la piqûre des tampans, que l’on appelle ici carapatos. J’ai entendu raconter par les Banyaïs d’effroyables effets produits par cet insecte. La fièvre déterminée par les carapatos est extrêmement dangereuse. Les homœopathes apprendront avec plaisir que les indigènes écrasent le tampan et font entrer cet insecte dans le médicament qu’ils emploient contre sa piqûre.

Le village de Têté est bâti sur une pente qui descend jusqu’au bord du Zambèse ; la roche qui constitue la rive est un grès teinté de gris et entamé par l’eau du fleuve ; la strate en est profondément ridée, et chacune de ces rides compose l’une des rues du village, car les maisons sont construites sur la crête du pli formé par la roche. Le fort, situé sur la rive même, est dominé par le sommet du coteau. Une grande vallée s’ouvre au midi de la ville, et par delà cette vallée s’élève une montagne oblongue qui s’appelle Karouéira. Tout le pays environnant est rocailleux et profondément déchiré, mais l’on a mis en culture les moindres endroits qui pouvaient l’être. Les maisons de Têté sont couvertes d’herbe et de roseaux ; la pluie a délayé la vase qui en cimentait les murs, et toutes ces constructions dégradées ont un aspect misérable et malpropre. On ne trouve de chaux que dans les environs de Mozambique ; toute celle qui a été employée pour faire les bancs de certaines vérandas a été tirée de cet endroit. Il est évident que les Portugais ignorent l’existence des marbres blancs et roses que j’ai trouvés en amont sur les bords du fleuve, et dont je rapporte quelques échantillons. Ils ne connaissent pas davantage la dolomite, qui s’y trouve aussi, sans quoi ils ne seraient pas allés aussi loin querir la chaux qui leur était nécessaire. Têté compte à peu près trente maisons européennes ; le reste est composés de cases habitées par les indigènes, et construites avec des branches et du pisé. La ville est entourée d’une muraille qui peut avoir trois mètres de hauteur, mais la plupart des natifs ont préféré s’établir en dehors du mur d’enceinte. On peut évaluer la population de Têté à quatre mille cinq cents âmes, dont une partie seulement est fixée dans la ville, qui n’a guère que deux mille résidents. La majorité s’occupe d’agriculture et habite les environs. Comparativement à ce qu’elle était jadis, Têté n’est plus maintenant qu’une ruine. Le nombre des Portugais, en dehors de la garnison, y est à peine de vingt individus ; celui des militaires est beaucoup plus nombreux. Cent cinq hommes avaient été envoyés du Portugal à Senna ; mais au bout d’un an, vingt-cinq étaient morts de la fièvre, et l’on a transféré les autres à Têté, qui est beaucoup plus salubre. Toutefois l’usage des spiritueux, dont ils abusent, joint à la nourriture malsaine qu’ils partagent avec les gens du pays, ne permet pas d’espérer qu’ils profitent longtemps du bénéfice de ce changement de localité. À Quilimané, la fièvre est tenace et continue ; ici, elle guérit, dit-on, au bout de trois jours ; on commence par administrer des médicaments très-anodins ; mais si le quatrième jour la fièvre n’a pas cédé, on fait subir au malade un traitement des plus énergiques.

Le fort de Têté n’est qu’un petit édifice carré, attenant à une caserne couverte en chaume, et où est logée la troupe. Il renferme peu de canons, mais en bien meilleur état que ceux d’aucune des forteresses de la province d’Angola ; et c’est à ce point de défense que les Portugais doivent d’avoir conservé les possessions qu’ils ont dans ce pays-ci, où leur puissance a considérablement diminué.

Le village de Senna est situé à deux cent cinquante kilomètres en aval. Le fleuve, à cette hauteur, contient des îles nombreuses où abondent les roseaux, et les terrains environnants sont couverts de broussailles. Le sol est fertile ; mais les mares d’eau stagnante que renferme le village rendent cette localité fort insalubre. La roche qui constitue l’assise fondamentale est formée de l’arkose de Brongniart, et traversée par plusieurs montagnes coniques de trapp, dont l’une est située à quatre cents pas à l’ouest du village et s’appelle Barainouana, ce qui veut dire : « porter un enfant sur son dos ; » elle a été nommée ainsi parce qu’elle a derrière elle une montagne plus petite et du même genre. Sa hauteur est d’environ cent mètres ; elle est armée à son sommet de deux pièces de canon démontées, dont la mission est d’effrayer les indigènes qui, dans une seule affaire, ont tué cent cinquante habitants de Senna. Le paysage que l’on découvre de l’endroit où ces canons sont placés est d’une beauté remarquable ; à vos pieds se déploie le Zambèse, et la vue s’étend du côté de l’ouest jusqu’à vingt ou trente-milles de distance où l’on aperçoit le Morumbala, qui doit avoir de mille à douze cents mètres de hauteur ; cette montagne est oblongue, et il est évident qu’elle est d’origine volcanique ; le sommet en est couvert d’un sol fertile, cultivé par de nombreux habitants ; on y trouve de l’eau courante et une source chaude et sulfureuse, à