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danser, à marcher sur la corde, etc. Ces médailles ont été frappées l’an 197 après Jésus-Christ : l’une est de Faustina Sénior, l’autre de Septime Sévère ; les éléphants qu’elles représentent venaient d’Afrique, d’où ils avaient été conduits à Rome. Aucune tentative n’a été faite au Cap pour domestiquer cet animal si utile ; jamais on ne l’a même exhibé en Angleterre, où il n’en existe qu’un très-jeune de cette espèce au Musée britannique.

Le désir que j’avais de regagner le Zambèse m’a décidé à traverser la montagne aux environs de l’embouchure du Kafoué. La distance que nous avions à franchir, et qui à vol d’oiseau est très-peu de chose, nous a demandé trois jours de marche. Nos bœufs ont été si fatigués par l’ascension et la descente de ces masses rocheuses et abruptes, qu’il a fallu en tuer plusieurs, dont l’un était une bête magnifique, ornée de plus de trente lanières flottantes, détachées de son propre cuir, et que Sékélétou, dont il faisait l’orgueil, voulait montrer aux blancs comme un spécimen de son troupeau. Nous voyons beaucoup d’éléphants en traversant la montagne, et mes hommes en ont poursuivi trois qu’ils ont tués.

Du sommet de la rampe extérieure, le tableau qui se déroule à nos yeux est splendide. À peu de distance du pied de la montagne, le Kafoué serpente au milieu d’une plaine couverte de forêts et s’enfuit pour s’unir au Zambèse qu’on aperçoit au loin, flanqué des sombres montagnes qui ferment l’horizon. Au moment où je regarde ces montagnes, leur base est voilée de nuages floconneux qui courent le long du fleuve ; sur la rive gauche du Kafoué, des centaines de zèbres et de buffles paissent au milieu des clairières, de nombreux éléphants pâturent et ne paraissent mouvoir que leurs trompes. Je voudrais être à même de photographier ce tableau qui disparaîtra devant les armes à feu, et qui s’effacera de la terre avant que personne l’ait contemplé.

Tous ces animaux sont d’une extrême confiance ; nous voilà descendus de la montagne, et les éléphants, arrêtés sous les arbres, s’éventent de leurs grandes oreilles comme si nous n’étions pas à deux cents mètres de l’endroit ou ils se trouvent ; de grands sangliers fauves (potamochoerus) nous regardent avec surprise, et leur nombre est immense. La quantité d’animaux qui couvre la plaine tient du prodige ; il me semble être à l’époque où le mégathérium paissait tranquillement au sein des forêts primitives. En traversant un fourré de cette région, nous fûmes chargés par un troupeau de buffles subitement troublés par notre passage. Un de nos hommes atteint par un de ces ruminants fut porté sur ses cornes pendant plus de trente pas avant d’être lancé en l’air ; il en fut quitte pour quelques contusions. Un peu plus loin le pays est infesté par la tsétsé. Je dois à l’obligeance de M. Gray, du Musée britannique, la gravure ci-jointe, qui représente cet insecte, dont les ravages m’ont été trop connus.

La mouche tsétsé.

L’insecte est représenté, au no 1 de la gravure, un peu plus petit qu’il ne l’est réellement, ce qui tient à ce que l’échantillon qui a servi de modèle s’était contracté en se desséchant, car la tsétsé est un peu plus grosse que notre mouche ordinaire. Le no 3 fait voir l’appareil dont elle est munie pour opérer la piqûre qu’elle inflige et pour aspirer le sang de l’animal, après avoir introduit dans sa peau le fluide vénéneux contenu dans la glande qui est située à la base de la trompe.

Bien que nous approchions des établissements portugais, nous voyons toujours beaucoup de gibier ; mes hommes viennent de tuer six jeunes buffles qui faisaient partie d’un énorme troupeau ; l’abondance de ces animaux et celle des antilopes démontre qu’il ne suffit pas de l’arc et des flèches pour en diminuer le nombre. Il y a également ici une grande quantité d’hyènes et de lions qui se multiplient, sans que personne pense à détruire ces derniers ; les habitants s’imaginent que l’âme de leurs chefs décédés habitent le corps de ces animaux ; ils croient même qu’un chef a le pouvoir de se métamorphoser en lion quand il a envie de tuer quelqu’un, et qu’il reparaît ensuite sous sa forme ordinaire : c’est pour cela que toutes les fois qu’ils rencontrent un lion ils frappent dans leurs mains, ce qui est leur manière de saluer. Il en résulte que ces félins se sont tellement multipliés, que lorsque les indigènes s’égarent ils sont obligés de passer la nuit sur les arbres, afin d’échapper aux dents et aux griffes de ces terribles animaux ; aussi nous voyons dans les bois de petites huttes construites au milieu des branches, et qui ont été faites par des gens que la nuit avait surpris dans la forêt. Nos guides s’effrayent continuellement de voir mes hommes se séparer les uns des autres pour suivre le coucou indicateur ou pour aller à la recherche des nids de koroués, et ils ne cessent de les avertir du danger qu’ils courent de rencontrer des lions. Je suis souvent obligé d’attendre ma suite vagabonde pendant une heure ou deux ; mais le soleil est si brûlant que je ne suis pas fâché d’avoir un prétexte pour me reposer. Il est impossible d’accomplir dans cette région les marches prodigieuses des voyageurs qui parcourent la zone boréale ; quand nous avons franchi dix ou douze milles (quinze ou vingt kilomètres), nous en avons assez : non pas que nous ne puissions en faire davantage ; mais c’est de recommencer tous les matins