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Après quatre mois de séjour à Loanda et d’un repos bien nécessaire, je repris le chemin de l’est, et à peu de chose près l’itinéraire que nous avions suivi en venant. Il nous coûta encore près de onze mois de marche, et ce ne fut que le 22 août 1855 que nous vîmes venir à notre rencontre les chevaux que nous avions laissés à Linyanti en 1853. Je retrouvai dans cette ville mon chariot, ainsi que tous les objets qui m’appartiennent, dans un état de parfaite conservation. Tous les habitants furent convoqués pour entendre le récit de notre voyage, et pour assister à la réception des cadeaux que le gouverneur et les marchands de Loanda nous avaient chargés d’offrir à Sékélétou. J’expliquai à celui-ci que ces dons des blancs étaient un témoignage de leur amitié et du désir qu’ils éprouvent de nouer des relations commerciales avec les Makololos.

Les présents furent accueillis avec des transports de joie, et le dimanche suivant, lorsque Sékélétou apparut à l’église en uniforme de colonel, on lui accorda plus d’attention qu’à mon prône. Ils sont du reste si bons, si touchants à mon égard, que je ferme un peu les yeux sur les distractions qu’ils se permettent à l’office.

Mes Zambésiens confirment en particulier ce qu’ils ont dit en public, et tous les jours des Makololos viennent m’offrir de m’accompagner à la côte orientale. « Nous voulons avoir aussi des choses merveilleuses à raconter, me disent-ils, et revenir couverts de gloire comme les braves qui sont allés avec vous. »

Après avoir ouvert aux naturels du centre de l’Afrique australe le chemin des établissements européens de la côte de l’Atlantique, chemin que, depuis moi, je sais qu’ils ont repris plus d’une fois, il me restait à leur montrer la route de la rive orientale de leur continent. Deux voies se présentaient à moi, celle de Zanzibar et celle du Zambèse. La première était peut-être la plus facile, en raison de l’esprit pacifique et du bon vouloir des peuplades qu’elle traverse, tandis que les tribus qui bordent le Zambèse ont l’humeur plus guerrière, et qu’il en est parmi elles de complétement hostiles à nos Makololos. Mais comme le Zambèse pouvait offrir un moyen de grande communication qui rattacherait plus tard les provinces du centre à la côte orientale, je résolus de le suivre et de longer la rive gauche, parce que Tété, qui est la station portugaise la plus avancée dans les terres, est, sur la carte de Bowdich, placée du côté nord du fleuve : erreur que j’ai reconnue plus tard.

En conséquence, le 3 novembre je quittai Linyanti, accompagné de Sékélétou et suivi d’environ deux cents personnes. Tous les hommes les plus influents de la tribu font partie de notre escorte ; nous sommes nourris aux frais du chef, qui, pour cela, prend des bœufs à chaque endroit où nous arrivons. Depuis mon retour Sékélétou n’avait cessé de pourvoir abondamment à tous mes besoins, et jusqu’au moment de notre séparation il ne cessa d’agir avec la même générosité.

Après avoir suivi pendant dix jours le cours du Zambèse ou ses bords, nous dûmes nous en éloigner et faire un détour vers le nord-est à cause des montagnes impraticables qui ont longtemps sans doute arrêté ses eaux et les ont forcées de s’épancher en un grand lac continental, jusqu’au jour où une convulsion du sol leur ouvrit un passage étroit et tourmenté vers l’orient ; mais je voulus, avant d’aller plus loin, contempler de mes yeux cette grande scène de la nature.

Les Makololos lui donnent le nom de Mosioatounya. J’en avais souvent entendu parler depuis mon arrivée dans le pays ; et l’une des premières questions que m’ait faites Sébitouané est celle-ci : « Avez-vous dans votre pays de la fumée qui fait le bruit du tonnerre ? » Jamais les naturels ne se sont approchés de la cascade ; ils ne l’ont vue qu’à distance, et frappés de la masse de vapeur qui s’en élève et du bruit qu’elle répand, ils se sont écriés : « Mosi oa tounya (la fumée tonne là-bas). »


V


Départ pour la côte orientale. — Les grandes chutes du Zambèse.

Après avoir navigué pendant vingt minutes, depuis Kalaï, nous apercevons les colonnes de vapeur, très-justement appelées fumée, et qui, à la distance où nous sommes, environ cinq ou six milles, feraient croire à l’un de ces incendies d’une vaste étendue de pâturages, que l’on voit souvent en Afrique. Ces colonnes sont au nombre de cinq et cèdent au souffle du vent ; elles paraissent adossées à un banc peu élevé dont le sommet est boisé. De l’endroit ou nous nous trouvons, le faîte de ces colonnes va se perdre au milieu des nuages ; elles sont blanches à la base et s’assombrissent dans le haut, ce qui augmente leur ressemblance avec la fumée qui s’élève du sol. Tout le paysage est d’une beauté indicible ; de grands arbres, aux couleurs et aux formes variées, garnissent les bords du fleuve et les îles dont il est parfumé ; chacun à sa physionomie particulière, et plusieurs d’entre eux sont couverts de fleurs ; le massif baobab, dont chaque branche formerait le tronc d’un arbre énorme, se déploie à côté d’un groupe de palmiers dessinant leurs feuilles légères sur le ciel, où elles tracent des hiéroglyphes qui signifient toujours « loin de ta patrie, » car ce sont elles qui impriment au paysage son caractère exotique. Le mohonono argenté, qui dans cette région est pareil, pour la forme, au cèdre du Liban, fait un heureux contraste avec le sombre motsouri, taillé sur le patron du cyprès, et dont la teinte brune est rehaussée par des fruits écarlates. Quelques-uns de ces arbres ressemblent à nos grands chênes ; il en est d’autres qui rappellent nos ormes séculaires et nos vieux châtaigniers ; néanmoins personne ne peut se figurer la beauté de ce tableau d’après ce qui existe en Angleterre. Jamais les regards des Européens ne l’ont contemplé ; mais les anges doivent s’arrêter dans leur vol pour l’admirer d’un œil ravi. Des collines de cent à cent trente mètres de hauteur, couvertes d’arbres qui laissent apercevoir entre eux la nuance rutilante du sol, bornent la vue de trois côtés. Il ne manque au paysage que des cimes neigeuses se confondant avec l’horizon.