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L’aspect aride du profond bassin où cette mer est encaissée justifie bien, ainsi que la nature de ses eaux, le nom de mer Morte qu’elle avait déjà reçu des Grecs et des Romains. La vie s’éteint à son approche. Les eaux courantes qui descendent des hauteurs nourrissent des poissons et des coquillages, les uns et les autres meurent dès qu’on les plonge dans les eaux du lac. « Tous nos efforts pour y trouver des êtres vivants sont restés sans résultat, dit M. Vignes. L’aspect général est d’ailleurs celui de toutes les mers. Les eaux sont limpides, mais désagréables au toucher ; elles laissent aux mains une impression huileuse, et à la longue déterminent des pustules. » La profondeur du lac est considérable ; c’est un véritable cratère. M. Vignes a trouvé 350 mètres ; des sondages antérieurs avaient déjà accusé sur certains points près de 400 mètres. Ainsi la profondeur de la mer Morte est égale à l’enfoncement de sa surface au-dessous du niveau de la Méditerranée. Cette grande profondeur ne se maintient que dans le centre et le nord, principalement aux approches de la côté orientale ; dans le sud elle n’est plus que de quelques brasses. Le fond est une vase bleue mêlée de cristaux de sel ; dans le sud, ce n’est plus que de la vase. M. Lartet a constaté que depuis les temps géologiques les eaux du lac se sont abaissées de plus de cent mètres, « diminution qui peut s’expliquer ou par une alimentation atmosphérique moins considérable, ou par une évaporation devenue plus active, et vraisemblablement par l’effet combiné de ces deux causes puissantes. »


VI


Outre les riches matériaux que l’expédition de M. de Luynes a donnés déjà à la géographie physique et à la topographie de la Palestine, elle en promet de non moins précieux pour l’archéologie. Les explorateurs ne se lassent pas de revenir à cet inépuisable champ d’études. Une nouvelle expédition anglaise, sous la direction de l’habile ingénieur, le capitaine Wilson, qui a effectué l’année dernière le nivellement de Jafa à Jérusalem et à la mer Morte, a repris depuis six mois l’exploration de la Palestine au point de vue de la géographie mathématique et astronomique, des antiquités, de l’ethnologie, des rapports de toute nature qui relient le pays dans son état actuel à ce qu’il fut dans les temps bibliques. L’entreprise est patronnée par une puissante association qui s’est constituée à Londres ; autant qu’on en peut juger par ce que l’on sait des résultats de la première campagne, cette expédition nouvelle promet d’être fructueuse. Ceux qui voudraient en suivre la marche sur les bulletins que les journaux anglais en publient de temps et autre, peuvent s’aider de la belle carte de la Palestine en huit feuilles de M. Van de Velde, dont la maison Perthes de Gotha vient de publier une nouvelle édition à un prix dont le bon marché semble incroyable quand on le compare à la valeur scientifique de la carte et à son exécution artistique. Je suis heureux de constater ici que cette puissante maison a résolu la première, pour les grandes et sérieuses publications géographiques, un problème jusque-là regardé comme insoluble : répandre à très-bon marché d’excellents ouvrages supérieurement exécutés. Il suffit de rappeler les Mittheilungen, ce précieux répertoire du mouvement géographique du monde entier, conduit par le Dr Augustus Petermann avec autant d’habileté que de science. Le succès a prouvé qu’une idée réellement utile est toujours une idée profitable.


VII


Au total, notre Revue semestrielle se résume, sauf un ou deux points, en espérances que nous réserve un avenir prochain, plus qu’en résultats déjà formulés. Sur bien des points importants, outre ceux que j’ai mentionnés, des expéditions, des travaux se préparent, en effet, ou sont en cours d’exécution. Une exploration scientifique des contrées intérieures situées au-dessus de notre établissement de Cochinchine, presque officiellement annoncée depuis quelque temps déjà, n’a pas encore eu, que je sache, de commencement d’exécution ; mais en attendant, de fréquentes et très-bonnes notices nous arrivent par le journal de la Colonie, le Courrier de Saïgon, et ces notices sont répétées par la Revue Maritime et Coloniale que publie le Ministère de la Marine, ainsi que par le Bulletin hebdomadaire du Tour du Monde. Les explorateurs que la Commission scientifique du Mexique a pu envoyer jusqu’à présent dans l’intérieur du nouvel Empire poursuivent vigoureusement leur tâche malgré la difficulté des circonstances, et font parvenir périodiquement à Paris des documents que la Commission dispose pour la publication. Des explorations privées sont en cours d’exécution dans le bassin de l’Amazone, ce fleuve immense destiné à ouvrir un jour une communication active entre l’Atlantique et les lointains territoires de la Nouvelle-Grenade et du Pérou.

Ajoutons que plusieurs livres d’un intérêt capital sont sur le point de paraître chez nous ou à l’étranger. La traduction française de l’Arabie de Palgrave se termine, en même temps que l’édition française de l’importante relation de Baker sur les contrées inconnues du haut Nil ; celle du second voyage de Livingstone au Zambézi, le grand fleuve de l’Afrique Australe a déjà paru[1]. On annonce aussi en Allemagne la prochaine apparition du voyage du docteur Bastian à travers les contrées les moins connues de l’Asie intérieure, depuis le Kambodje et les autres pays de l’Indo-Chine jusqu’en Europe par la Mongolie et le Caucase, itinéraire rempli de faits nouveaux ou peu connus, que déjà les lecteurs du Tour du Monde ont pu suivre en partie dans les attachants récits de Mme de Bourboulon édités par

  1. Les relations de Palgrave et de Baker, que celle de Livingstone a précédées, vont paraître à la librairie Hachette, qui depuis plusieurs années a pris l’honorable initiative de donner à la littérature scientifique de la France, par des traductions dues aux plumes les plus autorisées, toutes les relations marquantes qui se publient à l’étranger.