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ou pénétrer directement à l’est. M. Rohlf, d’après les informations qu’on lui apportait de l’intérieur, ne désespérait même pas d’arriver au Ouadâi, cette contrée fatale du Soudan oriental dont le nom évoque deux souvenirs funèbres, Vogel et Beurmann.

S’il ne faut pour réussir que de la persévérance et du dévouement, M. Rohlf doit réussir.


V


Quelles explorations, quels travaux avons-nous encore à mentionner ?

Nous avons parlé, dans une de nos dernières Revues, de l’expédition organisée par M. le duc de Luynes pour l’étude physique et archéologique de la Palestine et de la Syrie. Déjà quelques résultats, et des résultats d’une importance considérable, en ont été publiés. La Terre-Sainte a cela de commun avec la Bible, qui nous en raconte l’antique histoire : chaque fois qu’on y revient, on y trouve une page nouvelle. Après tant de voyageurs qui depuis quatre cents ans — pour ne pas remonter plus haut — ont foulé cette terre consacrée ; après tant de pieux pèlerins et de curieux investigateurs qui l’ont sillonnée, étudiée, fouillée dans tous les sens et dans ses moindres replis, on est étonné d’y trouver matière à de nouvelles recherches, à de nouvelles et grandes découvertes. C’est que la science grandit chaque jour, et avec elle l’observation. C’est comme un sens nouveau qui s’est développé chez les explorateurs, avec un degré d’acuité, de pénétration, et tout à la fois une faculté d’analyse et de synthèse qu’on soupçonnait à peine avant eux. On voit plus profond, plus loin et plus juste. Il n’y a pas trente ans qu’un savant américain, Edward Robinson, par une vue aussi simple que vraie appliquée à l’étude de la nomenclature historique, a placé sur une nouvelle base et complétement renouvelé la géographie comparée de la Palestine ; et c’est précisément dans le même temps, en 1836 et 1838, qu’un naturaliste allemand, le Dr Schubert, et bientôt après un de nos compatriotes, le comte de Bertou, signalèrent pour la première fois un des faits les plus remarquables de la configuration physique de l’Asie, la profonde dépression de la mer Morte au-dessous du niveau de la Méditerranée. Des milliers de voyageurs étaient descendus de Jérusalem à Jéricho et avaient pu remarquer la pente longue et rapide qui conduit de la ville sainte à l’embouchure du Jourdain, sans soupçonner le véritable caractère de cet énorme enfoncement, sans lui donner sa vraie signification. C’est que le témoignage des sens ne suffit pas en de semblables observations. La vue matérielle de l’homme est trop bornée pour embrasser tout un ensemble de faits, en apercevoir les rapports, en déduire les conséquences. Il faut le secours des instruments. Il faut que les instruments, ces merveilleux auxiliaires de la science moderne qui ont manqué aux anciens, nous révèlent par leurs mystérieuses indications les faits cachés qui échappent à nos organes. C’est ainsi que le télescope ouvre à nos regards les profondeurs de l’espace, que le microscope nous dévoile, aux autres confins de l’infini, les mystères du monde invisible, et que la merveilleuse propriété de l’aiguille aimantée trace la route du marin à travers les solitudes de l’Océan ; c’est ainsi que le baromètre, en accusant la pression atmosphérique qui varie selon les hauteurs, nous mesure les inflexions du relief terrestre comme le ferait un fil gradué suspendu à la voûte du ciel.

C’est par le baromètre que Schubert et le comte de Bertou furent avertis de la profondeur extraordinaire à laquelle la bassin de la mer Morte s’enfonce au-dessous du niveau des mers environnantes. Mais cette nature d’observations est soumise à certaines conditions d’une vérification difficile. Le chiffre du voyageur allemand n’était qu’une première approximation ; celui de M. de Bertou, quoique entouré de nombreuses précautions, pouvait laisser place encore à des doutes légitimes, que des vérifications ultérieures n’avaient peut-être pas entièrement dissipés. Cette question de géographie physique était une de celles dont l’expédition de M. le duc de Luynes s’était proposé la solution définitive ; et grâce aux soins infinis qu’y ont apportés les deux habiles observateurs de l’expédition, M. Lartet et M. Vignes, on peut affirmer que sur ce point la science a dit son dernier mot. Et si le moindre doute avait pu subsister après cette opération minutieuse, — doute qui se serait adressé non l’habileté des observateurs, mais à la limite d’incertitude que le procédé comporte, — il aurait été dissipé par le nivellement géodésique qu’une commission d’ingénieurs anglais a conduit de la Méditerranée à Jérusalem et de Jérusalem à la mer Morte, nivellement dont le dernier terme, obtenu un an jour pour jour après la détermination barométrique de M. de Luynes, s’accorde avec celle-ci à un mètre près.

Rappelons les chiffres :

Le nivellement barométrique de M. de Bertou en 1838, avait accusé, pour la dépression de la mer Morte au-dessous de la Méditerranée 406 mètres
Une seconde série d’observations du même voyageur 419, 8.
Le Dr Russegger, à la fin de 1838 436
Un nivellement du capitaine Symonds, de la marine anglaise, en 1841 400
Le nivellement barométrique du duc de Luynes, en mars 1864 392
Le nivellement géodésique de la commission anglaise, conduite par le capitaine Wilson, du corps des ingénieurs, en mars 1865 393

C’est ce dernier chiffre, 393 mètres, que l’on doit regarder comme l’expression certaine et définitive de l’enfoncement de la mer Morte au-dessous du niveau commun des mers du globe.

Sur la nature et les particularités de la mer Morte, que les anciens avaient nommée lac Asphaltite ou mer de Bitume, les mémoires de MM. Vignes et Lartet, précurseurs de la publication générale de l’expédition de Luynes, donnent des renseignements pleins d’intérêt.