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parti : redescendre la rivière en toute hâte. C’était le 1er octobre, et depuis cinq jours que le baron était parti pour Berdéra on n’avait eu de lui ni message ni nouvelles. Or, voici ce qui était arrivé.

Comme précédemment, le chef avait fait à son hôte l’accueil le plus souriant, mais sans se hâter de fournir les provisions qu’on lui demandait. La sinistre résolution était-elle prise dès ce moment, ou fut-elle suggérée par les rapports qui arrivèrent bientôt de l’affaire de la cataracte et de la situation désespérée où se trouvaient les restes de l’expédition ? C’est ce qu’on ne pourrait dire. On ne sait ce qui se passa alors que par la déposition de deux des hommes de l’escorte échappés de Berdéra. Toujours est-il que les Somâl avaient déplacé le bateau à l’insu de M. de Decken qui était à terre et enlevé les armes qui s’y trouvaient, et que c’est au moment où le voyageur les réclamait avec énergie qu’il fut saisi, lié, porté au bord de la rivière et tué à coups de lance. Le docteur Link eut le même sort ; les gens de l’escorte, qui étaient tous des indigènes, furent seuls épargnés. Il est présumable que la tragédie était accomplie. lorsque le grand bateau qui emportait le lieutenant Schick et les Européens survivants traversa Berdéra de toute sa vitesse, dans la nuit du 1er au 2 octobre, probablement ; c’est un point sur lequel le rapport du lieutenant glisse, il faut le dire, avec une rapidité pour le moins singulière. Il semble qu’emportés par une panique — d’ailleurs passablement justifiée, — ils aient craint même de s’informer du sort du baron et de ceux qui l’accompagnaient. Nous ne voudrions pourtant pas porter un jugement trop sévère sur une conduite qui sans doute a été absolument commandée par les circonstances.

Le 6 octobre, le Welf arrivait à l’embouchure du Djob. Mais la mer qui brise sur la barre rendait impossible le passage du steamer ; il fallut l’abandonner. Le parti se voyait dans la nécessité de gagner à pied une des stations de la côte ; heureusement on rencontra le lendemain une embarcation indigène qui conduisit le lieutenant et ses compagnons à Lamou, d’où une autre embarcation les ramena à Zanzibar. Ils y arrivèrent le 24, et sur leur rapport un vapeur de guerre anglais qui se trouvait en rade chauffa immédiatement pour retourner au Djob, où l’on arriva le 11 novembre. Mais il était trop tard, et l’on ne put que recueillir, de la bouche des témoins de la scène de Berdéra, les détails de cet acte atroce qui va donner une triste célébrité à ce repaire de barbares.


II


Si les projets de du Chaillu, sur la côte opposée de l’Afrique australe, n’ont également abouti qu’à un regrettable insuccès, du moins on n’a pas à y déplorer la sanglante issue de l’entreprise de M. de Decken. Nos lecteurs peuvent se rappeler que Paul du Chaillu, le célèbre chasseur de gorilles, après ses premières courses au Gabon, dont le récit, comme autrefois ceux de Levaillant, souleva, il y cinq ans, tant de doutes mal fondés et de récriminations exagérées, avait résolu de retourner sur le même théâtre et d’y pousser beaucoup plus loin ses explorations, ne se proposant rien moins cette fois que d’arriver par l’ouest au plateau intérieur de l’Afrique et au grand lac central, le Tanganîka, où Burton et Speke arrivèrent par l’est en 1858. Pour rendre l’exploration plus fructueuse, du Chaillu s’était exercé à Londres à la pratique des observations. Sur l’issue de ce voyage, nous tirons ce qui suit de la notice que le voyageur lui-même en a communiquée, au mois de mars dernier, à la Société de géographie de Londres.

Parti d’Angleterre dans les premiers jours d’août 1863, du Chaillu était arrivé au Gabon au commencement d’octobre ; malheureusement, en se rendant au Fernan Vaz (grand fleuve qui débouche par un large delta vers le premier degré de latitude australe), il perdit à la côte l’embarcation qui contenait la plus grande partie de ses instruments. Il fallut en demander d’autres à Londres, qui n’arrivèrent qu’à la fin de juillet 1864. Après maintes difficultés pour organiser son départ, il atteignit le village du roi Olinda, dans le pays d’Achira. Par la route qu’il a suivie, ce village est à cent dix milles (177 kilomètres) de l’embouchure du Fernan Vaz. Olinda reçut fort bien du Chaillu, qui ne tarda cependant pas à s’apercevoir que cet accueil était intéressé et s’adressait surtout aux cadeaux qu’on espérait obtenir. En quittant le pays des Achira, il traversa les territoires des Bekelaï, des Komba et des Avia, pour gagner les cataractes de Samba Nagochi, auxquelles il n’avait pu parvenir lors de son premier voyage. Ces cataractes sont situées à cinquante milles (80 kilom.) nord-nord-est du village d’Olinda. Pendant ce trajet, du Chaillu put constater que les gorilles vivent parfois en troupes, contrairement à ce qu’il avait avancé dans son premier ouvrage.

Ayant atteint et descendu pendant quelques heures la rivière Ovigui, le voyageur et sa troupe débouchèrent dans le grand Rembo, qui était très-gonflé par les pluies. Enfin, il atteignit le village de Suba, qui appartient à la tribu des Avia et qui est situé au-dessus des rapides et des chutes. La contrée qu’il venait de traverser est couverte de villages abandonnés, qui lui donnent un aspect monotone et triste.

Les chutes et les rapides s’appellent Samba Nagochi. La légende dit que deux esprits, l’un masculin, l’autre féminin, agitent les eaux afin d’empêcher de remonter et de descendre le cours de la rivière. Au milieu de la chute réside Fougamou, qui rugit et qui pousse l’eau avec une force effrayante.

Les chutes sont au nombre de trois : la première, appelée Nagochi (du nom de l’esprit féminin) n’est qu’un rapide ; sur ce point, la rivière contient deux îles. Environ douze milles (dix-neuf kilomètres) au-dessous, se trouve la grande cataracte, à la hauteur de laquelle la rivière est large d’environ cent cinquante yards (cent trente-sept mètres), et présente une île qui coupe la chute en deux, empêchant d’en voir l’une des moitiés. Du côté où était du Chaillu, la chute peut avoir soixante--