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Syracuse, puis Megara-Hyblaea, Xiphonia et d’autres encore.

Au nord du golfe s’ouvre un vaste port, qu’une colline rocheuse portant la ville moderne d’Agosta, protége à l’est contre les vents de la haute mer. Le port est excellent, mais la ville est sordide : il me semblait voir une de ces jeunes cités de l’Amérique du Sud qui sont en ruines avant qu’on ait fini de les bâtir. Des forts en mauvais état défendent l’entrée du chenal ; une citadelle dégradée coupe la péninsule à sa ravine et sépare la ville de la terre ferme ; des maisons éventrées, pavoisées de haillons qui sèchent au soleil, se pressent, comme une population de mendiants autour d’un grand seigneur, au pied d’un beau couvent de dominicains, aux arcades enguirlandées de verdure. Sur le bord de la mer, des baraques en planches ou en branchages forment une espèce de faubourg, encore plus ignoble que la ville et tout souillé du sang des poissons qu’on y dépèce.

Les habitants ressemblent à leurs demeures. La plupart d’entre eux sont hâves et misérables, l’atmosphère des marécages avoisinants leur donne la fièvre, et le manque de communications avec l’intérieur, joint aux obstacles que la ceinture de fortifications oppose au commerce, les condamne à la pauvreté. L’histoire, qui raconte les malheurs de la population d’Agosta, nous dit aussi que par une réaction fatale, ils se sont toujours


Théâtre de Syracuse. — Dessin de E. Therond d’après une photographie de M. Paul Berthier.


distingués par leur férocité. Les premiers colons de la ville furent des captifs que l’empereur Frédéric avait enlevés du nid d’aigle de Centorbi. C’était un triste commencement. Plus tard vinrent les siéges, les assauts, les pillages, puis le grand tremblement de terre de 1693 qui fit sauter la poudrière et renversa presque toutes les maisons. Ces événements ont dû singulièrement retarder les progrès moraux des habitants d’Agosta, et l’on dit qu’ils échappent en effet avec une grande lenteur à leur barbarie primitive. Encore dans les premières années du dix-neuvième siècle, ils mutilèrent quelques marins grecs qui avaient été chercher de l’eau à une source voisine et massacrèrent plus de 350 invalides français qui revenaient d’Égypte. Le malheur et l’ignorance se transforment toujours en crime.

Afin de voir plus à mon aise les maisons d’Agosta, je me dirigeai vers la proue, mais bientôt cette partie du navire fut encombrée de passagers amenés de la citadelle sous bonne escorte. C’étaient des recrues, pauvres paysans mal vêtus, qui pour la plupart semblaient tristes, hagards, effarés comme des bêtes fauves récemment prises au piége. Sur la plage, des femmes, des enfants, des vieillards faisaient des gestes d’adieu, se tordaient les bras, poussaient des cris de désespoir, envoyaient des recommandations suprêmes à ces frères, à ces fils qu’enlevait la terrible conscription, jusqu’alors