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toutes les femmes sont belles sous ce charmant costume.

Même au point de vue de l’architecture, la ville est l’une des plus agréables de la Sicile. Les rues sont larges et bien percées. Les maisons, construites dans le style prétentieux du dix-septième siècle, produisent néanmoins un assez bel effet à cause de leurs formes régulières, de leurs couleurs éclatantes, et des longues perspectives de leurs lignes. De beaux jardins décorent la ville. Du côté méridional de Catane se développe, il est vrai, comme un sinistre rempart, le grand courant des laves noires ou rougeâtres de 1669, n’offrant guère pour toute végétation que des cactus épineux, au fouillis de palettes rondes brillant d’un éclat métallique ; mais à l’ouest et au nord, les bosquets d’orangers, les vergers d’arbres à fruit, les jardins d’arbustes exotiques au beau feuillage ou à l’odeur pénétrante, forment à la ville une ceinture de verdure et de parfums. De toutes parts, se dressent, au-dessus des branches, de hautes tourelles revêtues de pariétaires et d’autres plantes grimpantes : ce sont les châteaux d’eau rustiques construits sur les aqueducs, où coulent souterrainement les ruisselets descendus de l’Etna. Toutefois, ce qui fait la grande beauté de Catane, ce ne sont ni les bosquets, ni les jardins, c’est la double cime bleuâtre du volcan que l’on voit fumer au-dessus des longues pentes, verdoyantes à la base, et neigeuses dans les hauteurs. De la grande rue qui traverse toute la ville de Catane, des murailles du port à la place Gioenja, située à 3 kilomètres sur le versant de la montagne, on contemple un spectacle qui n’a pas d’égal en Europe. Il faudrait se rendre jusque dans les Andes de l’Amérique tropicale pour retrouver un pareil tableau.

Catane n’a pas de monuments qui vaillent sérieusement la peine d’être visités. L’ancien théâtre romain, dont les matériaux ont en grande partie servi à la construction de la cathédrale, n’offre d’intérêt que pour les archéologues ; l’amphithéâtre est enfoui presque en entier sous les laves, et l’on doit y pénétrer comme dans une grotte. Quant aux cent trois églises, il n’en est aucune qui soit d’un beau style, si ce n’est Santo Carcere, dont le portail roman est fort remarquable. Toutes les autres, petites chapelles ornées de simples clochetons aussi bien que vastes nefs surmontées de coupoles, sont également chargées de sculptures lourdes et maniérées. L’église la plus curieuse est, sans doute, celle de San Benedetto, qui fait partie d’un couvent d’énormes dimensions ou des employés du gouvernement, ainsi que des officiers et des soldats de la garnison, se sont installés côte à côte avec les moines. La façade de l’église est encore inachevée ; mais elle en est d’autant plus intéressante à voir avec ses grands fûts de colonnes qui portent des touffes d’herbes et de fleurs à la place de chapiteaux. La nef, la plus grande de toute la Sicile, n’a pas moins de cent soixante-six mètres de long sur quatre-vingts mètres de large ; l’orgue puissant, qui doit emplir de sa voix cette étendue, a près de trois mille tuyaux. Sur le pavé de l’immense selle presque nue, « l’insigne astronome » Sartorius, « dynaste » de Waltershausen, et son compagnon le docteur Peters, ont tracé une ligne méridienne et gravé en lettres de marbre leurs observations relatives à la météorologie et à l’altitude de Catane, de Nicolosi et de l’Etna.

La cathédrale, qui s’élève à une petite distance du port, est un édifice d’apparence moins profane, et ses chapelles, peintes à la fresque, sont toutes remplies d’autels, de statues et de reliquaires. C’est là que l’on conserve le fameux voile de sainte Agathe, devenu le palladium de Catane. Jadis la cathédrale était consacrée à la sainte Vierge ; mais lors de la terrible éruption de 1669, qui dévora une partie de la ville, et plus tard, en 1693, pendant un tremblement de terre, les Catanais, jugeant que sainte Agathe s’était montrée leur meilleure patronne, débaptisèrent la cathédrale. En effet, si nous en croyons l’auteur du Mongibello descritto, don Pietro Carrera, le voile de sainte Agathe a toujours suffi pour mettre en fuite l’armée des cyclopes.

« À la vue de la bannière sacrée, — le fleuve rapide des laves s’est arrêté ; — il s’est converti en pierre — que foulent les pieds nus, et où sont enfermés — les esprits et les monstres vaincus. — C’est ici que le Mongibello fut écrasé, — ici que s’éteignirent les flammes — et que triompha le valeureux étendard — de l’amazone céleste. — Depuis, l’Etna, tout couvert de honte, — s’est voilé sous une épaisse nuée, — soit pour cacher la vile retraite des siens, — soit pour s’épargner la vue — des glorieux soldats de Catane. »

Non loin de la cathédrale, jaillit du sol une belle source d’eau claire qui fut, bien avant sainte Agathe, l’une des divinités protectrices de la ville : c’est l’antique Amenanus, que les bas-reliefs et les médailles nous représentent sous les traits d’un jeune homme à la figure naïve, aux cheveux entourés d’une guirlande de fleurs. Recouvert jusqu’à une faible distance de l’embouchure par les laves de 1669, l’ancien « fleuve » révéré par les Grecs de Catania s’épanche aujourd’hui en une nappe transparente dans un bassin de la place du Dôme, puis coule au-dessous des anciennes murailles et reparaît à la lumière pour arroser de son eau pure les racines de quelques saules pleureurs dans la gracieuse Flora du quai. De beaux massifs de verdure, des cygnes nageant avec paresse entre deux rives fleuries, voilà tout ce que reflète l’Amenano dans son cours d’une centaine de mètres ; puis il se mêle aux flots du port en s’étalant sur une large grève de cailloux. Plusieurs autres ruisseaux, semblables au « fleuve » Amenano, sont encore engloutis sous les laves de Catane, et l’on désigne même l’endroit précis où i les travaux d’excavation les feront découvrir un jour.

Le port de Catane est loin de répondre aux besoins du commerce local. En effet, cette ville, sans être aussi considérable que Palerme ou Messine, est néanmoins le chef-lieu et le débouché de la région la plus industrieuse et la plus peuplée de toute la Sicile. Près d’un demi-million d’habitants, dont trois cent mille environ domiciliés sur les flancs de l’Etna, reconnaissent Catane