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bonne nuit, mon camarade était bien décidé à prendre des forces pour l’excursion du lendemain.

En effet, nous sommes prêts à l’heure convenue et nous nous mettons gravement en marche. Tout alla bien tant que nous n’eûmes point dépassé la zone des jardins de Zaffarana ; mais au delà d’un cirque pierreux, que dominent d’un côté des escarpements difficiles à gravir, et de l’autre le rempart de scories de la grande éruption, je m’aperçus que mon ami le Catanais commençait à douter de son courage. Il faisait chaud, pas un souffle d’air ne pénétrait dans l’espèce de puits où nous venions de pénétrer. Cependant l’apprenti touriste fit quelques tentatives infructueuses pour escalader un premier talus en s’accrochant aux broussailles ; mais cette première épreuve lui parut suffisante, il surmonta le sentiment de honte qui le retenait encore à mon côté, et me souhaitant bonne chance, il reprit le chemin de Zaffarana.

L’ascension du promontoire qui forme la paroi méridionale du Val del Bove est en effet très-pénible ; mais combien on se trouve récompensé de sa fatigue lorsqu’on arrive au sommet de l’escarpement ! Le cône terminal du volcan apparaît dans sa gloire, projetant comme deux grands bras les parois du Val del Bove, rayées alternativement de noir et de blanc par les murs de lave et par les avalanches de neige. On voit s’étendre au loin la vaste plaine de scories dont la superficie n’est pas moindre de 25 kilomètres carrés ; du sein de cette mer s’élèvent çà et là comme des îlots des roches isolées, et les cratères à la base desquels commença l’éruption de 1852. Ce grand courant, qui tranche parfaitement sur les laves plus anciennes par sa ressemblance avec


Pont d’Aragona. — Dessin de H. Clerget d’après un croquis de M. E. Reclus.


un fleuve de fer, s’étale d’abord largement dans le cirque, puis se divise en trois coulées partielles, dont les deux principales vont se rejoindre plus loin dans les campagnes de Milo et de Zaffarana. Le bras méridional plonge par une énorme cataracte dans le petit bassin fermé du Val de Calanna, où se montrent quelques lambeaux de pâturages. Il est, dans la région etnéenne, peu de spectacles plus surprenants que cette chute de laves noirâtres tombant d’une hauteur de 120 mètres, et dominée par un grand rocher dressé au milieu du courant comme le rocher du Niagara. La coulée de 1852, l’une des plus considérables qui soient issues des flancs de l’Etna dans les temps modernes, est aussi l’une de celles qui ont causé le plus de dommages, car toute sa partie inférieure recouvrit des campagnes qui comptaient parmi les mieux cultivées de la Sicile. En outre, des vergers et des vignobles situés au-dessous des laves les plus avancées de l’éruption, furent desséchés subitement, comme si le souffle d’un incendie eût brûlé leur feuillage. Pour expliquer ce curieux phénomène, il faut admettre que certains filets du grand fleuve de laves furent injectés à travers les fissures du sol, et remplirent quelque cavité de la montagne au-dessous des vergers détruits : les racines étant privées de l’humidité nécessaire, les arbres durent périr.

De retour à Zaffarana, je n’avais plus qu’à longer la base d’un beau cône d’éruption entouré de maisons de campagne pour atteindre le village de Via-Grande, ou j’avais commencé le tour de l’Etna. Bientôt après, je rentrais dans Aci-Reale, et le lendemain, j’arrivais à Catane après avoir revu avec joie les îles des Cyclopes et le château d’Aci-Castello.

Élisée Reclus.

(La fin à la prochaine livraison.)