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l’Etna. Bientôt, quand les arbres seront abattus, les herbes elles-mêmes seront emportées par les pluies, de profonds ravins se creuseront sur les pentes et la contrée prendra l’aspect d’un désert. Lorsque je passai, les spéculateurs qui s’étaient donné pour tâche de dépouiller l’Etna de ses forêts séculaires venaient à peine de commencer leur œuvre impie, les arbres au large branchage étaient toujours debout et les oiseaux, non dépossédés encore par la hache, chantaient joyeusement dans les rameaux. Dès que les premières lueurs de l’aube, pénétrant comme des flèches à travers le lacis des innombrables branches, eurent éveillé tout le monde ailé des oiseaux, l’allégresse fut grande, et comme si la forêt n’avait pas été condamnée à disparaître bientôt, un concert de gazouillements salua le jour.

De fréquentes détonations m’annonçaient déjà que j’approchais du théâtre de l’éruption. Soudain, à un détour du sentier, je vis une coulée de laves noires et fumantes encore, qui bornait la forêt comme la ruine d’un rempart énorme. C’était un bras du fleuve de matières fondues qu’avait vomies l’Etna. Les énormes scories, tordues et disloquées par la poussée intérieure des laves, se dressaient les unes au-dessus des autres en moraines de dix et quinze mètres de hauteur ; des troncs d’arbre,


Vue d’une coulée de lave. — Dessin de Camille Saglio d’après une photographie de M. Paul Berthier.


les uns à demi carbonisés, les autres encore parés de leur branchage, étaient épars à la surface du courant qui les avait entraînés. Sur les bords de la coulée, des pins, qui semblaient n’avoir pas souffert de la proximité des matières en fusion, s’élevaient isolés ou par groupes et balançaient encore leur feuillage au-dessus des amas de pierres fumantes ; quelques arbres, entourés pour ainsi dire d’un fourreau de laves, gardaient encore une apparence de vie, bien qu’un fleuve de feu se fût épanché autour de leurs racines. Une petite colline, portant un bosquet de pins sur ses pentes, dominait comme une île cette mer qui l’avait entourée de ses flots incandescents. La lave était encore chaude à la surface, mais je n’eus cependant aucune difficulté à gagner la colline insulaire en passant sur les scories solidifiées comme sur les glaçons d’un fleuve.

En remontant lentement le bord de la coulée j’arrivai au pied d’un escarpement de laves où la poussée des matières en fusion se produisait encore avec intensité. La croûte figée se soulevait çà et là, puis se brisait avec un cliquetis métallique, tandis que la masse éblouissante de l’intérieur s’échappait au dehors comme le fer sortant de la fournaise. Non loin de là j’apercevais un ancien cône d’éruption boisé où, suivant mon guide, deux lordi inglesi s’étaient installés quelques semaines auparavant, afin de prendre des vues photographiques de l’éruption. Ces lordi inglesi étaient probablement M. Fouqué, le savant chimiste français, et son com-