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et c’est à cinq ou six kilomètres trop au sud qu’il me fit atteindre le grand chemin. N’ayant désormais plus aucun besoin de mon compagnon, je le congédiai, et tandis qu’il allait se reposer dans quelque grange, je continuai ma route vers la ville importante d’Adernò.

L’une des premières maisons était bien le gîte que je cherchais ; mais à peine étais-je installé que la Renommée aux cent voix annonçait déjà, dans tous les carrefours, l’arrivée d’un « continental, » ayant un livre sous le bras, et sur le dos un havresac. Bientôt ma chambre est envahie par les carabiniers, on me somme d’exhiber mes papiers, on me fait subir divers interrogatoires, puis, comme je me révolte contre la trop grande indiscrétion de ces messieurs, on me constitue prisonnier sous la garde de deux estafiers, et les grands personnages d’Adernò se réunissent pour décider de mon sort. Enfin, quand on eût compté le nombre de ducats que j’avais dans mon portefeuille et soigneusement examiné le grimoire de mes cartes, il fut dûment établi que j’étais un honnête homme, et je reçus l’autorisation de manger et de dormir comme les autres mortels. Malheureusement je ne pus guère profiter de cette gracieuse permission, car mon sommeil fut bien des fois troublé par les puces et autres bestioles. Je me demandai souvent si ma nuit ne se serait pas écoulée d’une manière plus confortable dans la vieille tour de la prison,


Crevasse du Frumento. - Dessin de H. Clerget d’après une photographie de M. Paul Berthier.


pittoresque édifice normand que j’avais aperçu la veille aux rayons de la lune.

Le lendemain, je continuai mon voyage autour de l’Etna, mais au lieu de suivre la grande route qui se développe sur les pentes de la montagne à plusieurs centaines de mètres de hauteur au-dessus du Simeto, je descendis dans la vallée, afin de voir les défilés que la rivière s’est creusé à travers les courants de laves modernes. Suivant un charmant petit sentier qui remonte la vallée, je me trouvai bientôt devant l’un des plus grands monuments de la Sicile. C’est un pont-aqueduc qui mériterait à plus juste titre que la prétentieuse construction de San Leonardo d’être appelée il ponte par excellence. Il y a plus d’un siècle, l’aqueduc franchissait toute la vallée, porté sur de gigantesques arcades d’une hauteur uniforme, mais il ne put résister aux intempéries et aux tremblements de terre. Le prince qui possédait toutes les plaines avoisinantes le fit alors reconstruire en forme de syphon. L’eau recueillie à la base de l’Etna descend de l’escarpement oriental de la vallée par une pente très-rapide, puis coule au-dessus de la rivière sur un aqueduc horizontal d’une trentaine d’arcades et remonte par sa propre impulsion sur le versant opposé. À cette grande construction est accolé un pont de forme pyramidale, comme tous les anciens ponts de la Sicile.