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s’y rendaient chaque année, à cette époque ou la pluie était moins rare dans le désert qu’elle ne l’est actuellement ; plusieurs fois on avait tenté d’y arriver en traversant le Kalahari dans la direction indiquée ; mais ces tentatives avaient toujours échoué, même de la part des Griquas, qui, ayant dans les veines un peu du sang des Bushmen, devaient, croyait-on, mieux supporter la soif que les Européens. Il devenait évident que la seule chance de réussir était de tourner le désert au lieu de le traverser. Le meilleur moment pour tenter l’entreprise devait être en mars ou en avril, époque où se termine la saison des pluies, et où il était probable que nous trouverions de l’eau dans les étangs, qui sont desséchés pendant l’hiver.

Trois gentlemen, MM. Vardon, Oswell et Murray, rompus an climat de l’Afrique et de l’Inde, et passionnés pour la chasse, se proposèrent pour m’accompagner et se chargèrent généreusement de tous les frais du voyage. Il n’y avait plus qu’à partir.

Un mot sur le Kalahari avant de le traverser.

L’espace qui s’étend depuis la rivière d’Orange jusqu’au lac Ngami, c’est-à-dire entre le vingt-neuvième et le vingtième degré de latitude sud, et depuis l’océan Atlantique jusqu’au vingt-quatrième degré de longitude orientale, a reçu le nom de désert simplement parce que l’on n’y trouve pas d’eau courante, et que l’eau de source y est très-rare ; mais il n’en renferme pas moins une végétation abondante et de nombreux habitants ; l’herbe y couvre le sol, qui produit une grande variété de plantes, et l’on y rencontre de vastes fourrés composés non-seulement d’arbustes et de broussailles, mais encore de grands arbres. C’est une plaine immense, remarquablement unie, coupée en différents endroits par le lit desséché d’anciennes rivières, et parcourue dans tous les sens par de prodigieux troupeaux de certains genres d’antilopes dont l’organisme exige peu ou point d’eau. Le gibier, les rongeurs sans nombre que l’on trouve dans cette région, et les petites espèces de félins qui font leur proie de ces derniers, forment la nourriture des Bushmen et des Bakalaharis, habitants de la contrée. Le sol est composé en général d’un sable doux, légèrement coloré, c’est-à-dire de silice presque à l’état de pureté. On trouve dans les anciens lits des rivières desséchées beaucoup de terrains d’alluvion qui, durcis par le soleil, forment de grands réservoirs où l’eau de pluie se conserve pendant plusieurs mois de l’année.

Les tribus qui habitent cette région sont composées de Bushmen et de Bakalaharis. Les premiers sont probablement les aborigènes de la partie méridionale du continent, et les seconds proviennent, sans doute, de la première émigration des Béchuanas. C’est par goût que les Bushmen vivent au désert, les Bakalaharis parce qu’ils y sont contraints ; mais un profond amour de la liberté anime également les deux races. Les Bushmen se distinguent par leur langage, leurs habitudes et leur aspect ; ce sont les seuls vrais nomades que l’on trouve dans la contrée ; ils ne cultivent jamais la terre et n’ont point d’animaux domestiques, à l’exception de quelques chiens d’une misérable espèce ; en revanche, ils connaissent tellement les habitudes des animaux sauvages, qu’ils les suivent dans leurs migrations, les surprennent, s’en nourrissent à l’endroit même où la chasse a eu lieu, et n’empêchent pas moins leur multiplication désordonnée que les autres carnivores. À la chair du gibier, qui forme leur principale nourriture, ils ajoutent les racines, les fèves et les fruits sauvages que les femmes vont chercher. Ceux qui habitent les plaines sablonneuses et brûlantes du désert sont généralement secs et nerveux, capables de supporter de grandes fatigues et de subir des privations excessives. Beaucoup d’entre eux sont d’une taille peu élevée, sans avoir toutefois la difformité des nains. Ceux qu’on amène en Europe ont été choisis pour leur extrême laideur, comme les chiens de certains marchands ambulants, et l’idée qu’en Angleterre on a vu des Bushmen est tout ainsi exacte que celle qu’on aurait des Anglais, si les plus affreux d’entre nous étaient exhibés en Afrique et donnés comme spécimen de la nation.

Partis le 1er juin 1849, nous n’atteignîmes les rives du lac Ngami qu’au bout de deux mois de marches et de fatigues. Ce fut le 1er août que pour la première fois, cette belle nappe d’eau, la plus méridionale de toutes celles qui étoilent l’intérieur du continent africain, fut contemplée par des Européens.

Mon principal but, en me rendant au lac, était de m’aboucher avec Sébitouané, grand chef des Makololos, qui demeurait, dit-on, à quelques centaines de milles plus loin. Je ne pus cette fois parvenir à le joindre ; mais l’année d’après je fis un second voyage au lac, accompagné de ma femme et de mes enfants.

À la nouvelle de l’approche des blancs, venus d’au delà des déserts pour le voir, il voulut nous épargner une moitié du chemin et revint du haut de la vallée du Lyambie, où il se trouvait alors, pour nous recevoir dans Seshéké, sa résidence habituelle.

Âgé de quarante à quarante-cinq ans à l’époque de notre première visite, il était de haute taille, plus nerveux que musclé, légèrement chauve, et de teint café au lait. Dans ses manières éclataient à la fois la réserve, la dignité et la franchise.

Il n’était pas né dans une famille souveraine ; les événements et son énergie l’avaient porté au rang suprême. Membre d’une petit tribu alliée aux Bassoutos, il avait avec ses compatriotes éprouvé le contre-coup de ces invasions de Cafres qui, à une quarantaine d’années des jours actuels (1865), couvrirent de ruines et de sang les bassins du Limpopo et du haut Orange, et il avait fait partie de cette horde immense de sauvages qui vers 1824 menacèrent les frontières de la colonie du Cap et qu’une centaine de cavaliers griquas, dirigés par MM. Moffat et Tompson, refoulèrent dans les solitudes du Kalahari. Au milieu des horribles scènes et des affreuses misères qu’entraîna la débâcle de cette avalanche humaine, l’attitude ferme de Sébitouané, la confiance qu’il avait inspirée à son petit clan, rallièrent autour de lui un noyau d’hommes d’élite, avec lesquels il remonta au