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comme un homme libre je m’exposais en même temps à un excès de curiosité de la part des gendarmes. Dans ce pays, comme dans tous ceux dont la population était encore récemment asservie, les voyages pédestres ne sont point en honneur. De plus, j’étais seul, et les Siciliens, peuple éminemment sociable, ne pouvaient comprendre qu’un homme eût la bizarrerie d’aller se promener sans compagnon à cinq cents lieues de ses pénates. Aussi me fallut-il plus d’une fois « exhiber » mes papiers et « justifier de mon identité. »

Au-dessus du beau village de Via-Grande se dresse le cône d’éruption le plus rapproché de la mer et l’un des plus éloignés du cratère central de l’Etna ; c’est à la base de ce monticule, aux flancs rouges et noirs plantés de vignes, que commence la véritable ascension de la montagne, dont la cime se montre au nord-ouest, à dix-huit kilomètres de distance linéaire. Au delà d’une ancienne coulée de lave revêtue d’oliviers, l’aspect des campagnes change brusquement. On ne voit plus autour de soi une mer de verdure, mais seulement des rangées basses de ceps de vigne et des champs de céréales dominés par des murs de scories rougeâtres : on se trouve déjà dans la région du feu.

Après avoir escaladé successivement plusieurs cheires de lave, on aperçoit, à côté de la route, quelques maisons basses qu’on dirait avoir été construites en scories de fer et qui, de loin, se confondent par leur aspect avec les terrains environnants. Ces masures sont un quartier du grand village de Nicolosi qui s’étend, sur un espace de plus d’un kilomètre, entre deux grands courants de lave, au centre d’une espèce de cirque dominé à l’ouest et au nord par des cônes d’éruption, le Monpilieri, les Monti-Rossi, la Serra-Pizzuta. À voir ces maisons noirâtres entourées de pierres on croirait se trouver dans un misérable hameau et non dans un grand village de trois mille habitants, honoré par le fisc d’une ceinture d’octroi. Nicolosi n’a pas moins de six églises, sans compter divers oratoires et le couvent considérable de San-Nicolò d’Arena, devenu la maison de plaisance des Bénédictins de Catane. Pendant une partie du siècle dernier, des brigands s’étaient installés, dit-on, dans les salles du monastère. Les rares visiteurs de l’Etna ne pouvaient alors aborder la montagne sans entrer en composition avec les bandits.


Grotte des Colombes. — Dessin de Camille Saglio d’après Sartorius de Waltershausen.

De nos jours les étrangers ne risquent d’être exploités à Nicolosi que par les mendiants, les guides et les aubergistes ; mais on ne saurait s’en plaindre, car ce fait même prouve que cette partie si curieuse des régions etnéennes est assez fréquemment un but de pèlerinage scientifique pour les Européens du Nord. Le village a deux auberges qui diffèrent singulièrement de celles du reste de la Sicile par leur propreté relative et par le comfort dont on y jouit. Une de ces auberges possède même une carte des éruptions de l’Etna, par Gemellaro, et quelques bons livres de vulcanologie et de géographie locale, qui sont mis librement à la disposition des voyageurs. Quant au registre où sont inscrits côte à côte les noms des savants les plus illustres et ceux du commun des touristes, l’hôte s’empresse de l’apporter d’un air de triomphe, ignorant sans doute que ce livre ne renferme pas seulement des éloges à l’adresse de sa personne et de sa cuisine, mais aussi des plaintes fondées sur sa rapacité. Quoi qu’il en soit, l’examen de ce recueil, considéré au point de vue statistique, démontre ce fait intéressant, que plus de la moitié des visiteurs de Nicolosi sont des Anglais. Les voyageurs allemands et les Français sont en nombre à peu près égal, puis viennent les Russes et les Hollandais ; enfin, les Italiens du continent sont rares, et c’est à peine si deux ou trois Siciliens sont amenés chaque année par l’amour de la science et des voyages à gravir les pentes inférieures de leur volcan.