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Au sud du promontoire de Schisò on traverse la petite rivière de Cantara sur un vrai pont, qui n’est certainement pas une merveille d’architecture, mais que les Siciliens n’en montrent pas moins avec fierté ; puis on gravit obliquement les premiers renflements de la base de l’Etna. Le sol de la route a la couleur du fer, et la poussière qu’y soulèvent les roues ressemble à la limaille des usines ; à droite et à gauche s’élèvent des murs que l’on dirait construits en blocs de métal ; mais par contraste avec cette large ornière rougeâtre de la route, les campagnes que l’on parcourt offrent une végétation magnifique, beaucoup plus touffue que celle de toutes les autres parties de la Sicile. Les bosquets d’oliviers, d’orangers, de citronniers et d’autres arbres à fruit, auxquels se mêlent çà et là des groupes de palmiers, transforment en un grand verger tout l’espace compris entre la mer et la base de la montagne ; de nombreuses villas, des coupoles d’églises et de couvents se montrent de toutes parts au-dessus des massifs de verdure. La terre est si fertile que ses produits, nourris par des alluvions qui ont en certains endroits cinquante mètres d’épaisseur, peuvent suffire à une population


Val del Bove. — Dessin de Saglio d’après une photographie de M. Paul Berthier.


trois ou quatre fois plus forte en proportion que celle des autres contrées de la Sicile et de l’Italie. Les villes touchent aux villes. Riposto projette un long faubourg dans les campagnes pour aller rejoindre un quartier de Giarre, et celui-ci va d’un autre côté se réunir à Mascali ; les villages se suivent comme les perles d’un collier tout autour de la montagne. Au-dessus de ces pentes inférieures d’une si remarquable fécondité se dressent les flancs proprement dits de l’Etna, dont le sol excelle pour les forêts, ainsi que le prouvent le « châtaignier des Cent chevaux » et d’autres colosses du monde végétal. Quant à l’admirable spectacle offert, au-dessus de toute cette verdure, par la masse fumante de l’Etna entourant de ses deux contre-forts neigeux le cirque noirâtre du Val del Bove, c’est là un tableau qu’il est impossible d’oublier. La grande forme de l’Etna reste à jamais gravée dans le regard de celui qui eut le bonheur de la contempler un jour.

Élisée Reclus.

(La suite à la prochaine livraison.)