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tantôt de l’autre, rasent les villages et dévastent les plantations. Plusieurs de ces fiumare n’ont pas moins d’un kilomètre de largeur ; quand l’eau est assez basse pour qu’on n’ait pas à craindre d’être soulevé par le courant et charrié jusqu’à la mer, il faut du moins subir le désagrément d’être tour à tour cahoté avec violence par le choc des roues contre les blocs épars et de s’enfoncer soudain dans quelque fondrière. Aussi les voyageurs que leurs affaires ou l’amour de la nature n’amène pas vers Taormine ou les villes situées à la base de l’Etna, se gardent-ils soigneusement de prendre la route de terre et s’embarquent-ils sur le bateau à vapeur qui se rend directement de Messine à Catane.

La poussière et le passage des torrents ne sont pas les seuls inconvénients qu’offre un voyage en diligence sur cette route du littoral, il expose aussi les étrangers aux importunités des mendiants qui ont remplacé les brigands d’autrefois. Avant de partir de Messine, le signor corriere prend déjà soin d’avertir les voyageurs non siciliens, s’il en a dans sa voiture, qu’ils feront bien de se munir d’une quantité de sous de cuivre afin de satisfaire à toutes les demandes. D’abord, les postillons ont acquis le droit, en vertu d’une longue tradition, de réclamer cinq bayoques par relais en sus du prix du voyage. Ensuite, le corriere lui-même ne manque jamais de décocher à ses compagnons de route les paroles les


Théâtre de Taormine. — Dessin de H. Clerget d’après une photographie de M. Paul Berthier.


plus doucement modulées et les regards les plus insinuants pour faire comprendre ainsi, sans le dire, que ses titres à la générosité des nobles étrangers sont encore bien plus sérieux que ceux des postillons. Puis en mettant la tête à la portière, on ne voit de tous côtés que des gens tendant la main : dans les villages, aux portes des maisons, ce sont des boiteux, des infirmes, des vieillards, des femmes en haillons ; sur la route, ce sont les gamins courant à droite et à gauche de la voiture au milieu des tourbillons de poussière ; enfin, devant les églises, les oratoires, les chapelles si nombreuses qui bordent le chemin, ce sont des moines mendiants s’offrant à réciter des Pater et des Ave pour ceux qui leur jettent quelques pièces de monnaie. L’un d’eux, jeune homme dans la force de l’âge, nous poursuivit pendant toute la traversée d’une fiumara, en nous demandant d’acheter une figure de saint grossièrement sculptée. J’avais déjà vu de bien étranges moines siciliens ; mais aucun ne m’avait semblé aussi bizarre que cet intrépide coureur à la robe retroussée, à la barbe inculte, à la voix glapissante.

Les mendiants siciliens n’ont rien de l’insolence farouche de ces loqueteux espagnols qui tendent une main comme si dans l’autre ils avaient un couteau ; ils ne peuvent être non plus assimilés à ces parias de Londres ou d’autres villes du Nord qui semblent avoir compléte-