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de notre séjour furent encore plus sèches que la première ; c’est à peine si, pendant ces deux ans, il tomba dix pouces d’eau, et le Kolobeng finit par tarir. Tant de poissons périrent par suite de cette circonstance, que toutes les hyènes du voisinage accoururent au festin et ne vinrent pas à bout de dévorer complétement ces masses putrides. Un vieil alligator, dont jamais on n’avait eu à se plaindre, fut également au nombre des victimes ; on le trouva dans la vase, où il avait échoué.

La quatrième année ne fut pas plus favorable ; il ne tomba pas assez d’eau pour que les grains pussent parvenir à leur maturité. Rien n’était plus désolant. Nous creusions le lit de la rivière de plus en plus à mesure que l’eau tarissait, nous efforçant, mais en vain, d’en puiser quelques gouttes pour empêcher les arbres fruitiers de mourir. Les aiguilles qu’on laissa dehors pendant plusieurs mois ne se rouillèrent pas ; et toute la partie aqueuse d’un mélange d’acide sulfurique et d’eau, qui servait pour une pile électrique, s’évapora complétement, au lieu de s’accroître comme elle aurait fait en Angleterre. Les feuilles des arbres étaient ridées et amollies, bien qu’elles ne fussent pas mortes ; et celles du mimosa restaient fermées en plein jour comme elles le sont pendant la nuit.

Au milieu de cette effroyable sécheresse, rien n’était plus étonnant que de voir les fourmis aller et venir avec leur vivacité habituelle. J’enfonçai à midi la boule d’un thermomètre à trois pouces dans la terre, le mercure marqua de 132 à 134° Fahrenheit (de 55 à 56° centigrades) ; si je plaçais à la surface du sol différents scarabées, ils expiraient au bout de quelques secondes ; mais cette effroyable chaleur ne faisait qu’augmenter l’activité des fourmis noires à longues jambes. Où ces fourmis pouvaient-elles prendre l’humidité qui leur est nécessaire ? Notre maison avait été bâtie sur une espèce de poudingue ferrugineux très-dur, afin d’empêcher les fourmis blanches d’y pénétrer ; celles-ci n’y vinrent pas moins, en dépit de la précaution ; et non-seulement elles purent, malgré cette chaleur desséchante, délayer le sol pour y former des galeries où elles vont et viennent à l’abri des oiseaux, mais lorsque nous ouvrîmes leurs chambres souterraines, nous y trouvâmes une humidité surprenante. Il n’y avait cependant pas de rosée ; et la maison étant située sur le roc, elles ne pouvaient pas communiquer avec la rivière, qui coulait au pied de la colline, environ à trois cents mètres plus bas. Auraient-elles, par une faculté qui leur serait propre, le moyen de créer de l’eau en combinant l’oxygène avec l’hydrogène des végétaux qui forment leur nourriture ?

Cependant la pluie n’arrivait pas. Les Bakouains s’imaginèrent que j’avais lié Séchélé par un charme quelconque ; et je reçus plusieurs députations des anciens de la tribu qui venaient me supplier de lui permettre de produire seulement quelques ondées. « Si vous refusez, disaient-ils, le blé mourra et nous serons dispersés ; laissez-le faire pleuvoir encore une fois ; et nous tous, hommes, femmes et enfants, nous irons à l’école et nous chanterons des prières aussi longtemps que vous voudrez. » C’est en vain que je leur affirmais que tout mon désir était de voir Séchélé faire en toutes choses ce que lui dictait sa conscience, et je souffrais vivement de leur paraître insensible.

La conduite des Bakouains, pendant cette longue sécheresse, fut vraiment excellente ; les femmes se dépouillèrent de leurs parures, afin qu’on pût acheter du maïs chez les tribus plus heureuses ; les enfants se mirent en quête des nombreux tubercules et des racines comestibles que fournit la contrée, et les hommes passèrent leur temps à la chasse. Un grand nombre de buffles, de zèbres, de girafes, de gnous, de rhinocéros, d’antilopes de toute espèce venaient en foule boire à quelques fontaines voisines du Kolobeng, et l’on construisit dans les terres environnantes un piége qui, dans le pays, porte le nom de hopo. Ce piége consiste en deux haies, se rapprochant l’une de l’autre comme pour former un V ; très-épaisses et très-hautes, au sommet de l’angle qu’elles produisent, au lieu de se rejoindre complétement, elles se prolongent en droite ligne, de manière à former une allée d’environ cinquante pas de longueur, aboutissant à une fosse qui peut avoir quatre ou cinq yards carrés et six ou huit pieds de profondeur. Des troncs d’arbres sont placés en travers sur les bords de cette fosse, principalement sur le côté par où les animaux doivent arriver, et sur celui qui est en face et par où ils cherchent à s’échapper. Ces arbres forment au-dessus de la fosse un rebord avancé, qui rend la fuite impossible, et le tout est soigneusement recouvert de joncs qui dissimulent le piége, et qui le font ressembler à un trébuchet posé dans l’herbe. Comme les deux haies ont souvent un mille de longueur, et que la base du triangle qu’elles décrivent est à peu près de la même dimension, une tribu, qui forme autour du hopo un cercle de trois ou quatre milles de circonférence, se resserrant peu à peu, est certaine d’englober une grande quantité de gibier. Les chasseurs dirigent par leurs cris les animaux qu’ils entourent, et les font arriver au sommet du hopo ; des hommes cachés en cet endroit jettent leurs javelines au milieu de cette troupe effrayée, qui, se précipitant par la seule ouverture qu’elle rencontre, s’engage dans l’étroite allée qui conduit à la fosse ; les animaux y tombent l’un après l’autre, jusqu’à ce que le piége soit rempli d’une masse vivante qui permet aux derniers de s’enfuir en passant sur le corps des victimes. C’est un spectacle effroyable ; les chasseurs, enivrés par la poursuite et ne se possédant plus, frappent ces animaux, gracieux pour la plupart, avec une joie délirante, tandis que les pauvres créatures, entraînées au fond de l’abîme par le poids des morts et des mourants, soulèvent de temps à autre cette masse de cadavres, en se débattant au milieu de leur agonie contre le fardeau qui les étouffe.


II


Voyage au lac Ngami. — Le désert de Kalahari et ses habitants.

Depuis cinquante ans au moins, la situation exacte du lac Ngami avait été désignée par les indigènes qui