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reur, car sur un grand nombre de maisons on lit encore ces inscriptions qui devaient protéger les immeubles contre la soldatesque : proprietà francese, proprietà inglese, proprietà prussiana.

Messine, il faut l’espérer, n’aura plus à subir de bombardement ; mais si elle n’a point à craindre d’être renversée par des boulets ennemis, elle est toujours menacée par les vapeurs élastiques frémissant dans le sol. Messine est située sur la ligne de jonction qui réunit. les deux foyers volcaniques de la Sicile et de l’Italie méridionale, et peut-être que sa position dans l’espèce de fossé formé par la dépression du détroit contribue à augmenter encore le danger. Aucune cité d’Europe n’est plus directement menacée que Messine par les tremblements de terre, aucune n’en a plus souffert. En 1783, les secousses renversèrent des centaines de maisons, abattirent les clochers et les tours, firent effondrer les voûtes des églises, tandis qu’un terrible raz de marée, après avoir balayé d’un coup deux mille personnes réunies sur la plage de Scylla, s’engouffra dans le port de Messine, y coula tous les navires et sapa par la base la superbe rangée de palais qui bordait le rivage. Plus de douze mille individus périrent dans cet effroyable désastre ; et bien qu’une période de quatre-vingt trois ans se soit écoulée depuis la catastrophe, on en voit encore en maints endroits les effets. Même dans le Corso, nombre de murs sont restés abattus ou lézardés, bien des entablements ont disparu, bien des sculptures brisées ont cédé la place à des pariétaires et à d’autres plantes apportées par le vent. Pendant les années de prospérité du dix-neuvième siècle, les Messinois ont en grande partie reconstruit leur ville, ils ont même bâti de nouveaux quartiers pour la population incessamment croissante ; mais d’un moment à l’autre, une nouvelle série de secousses peut faire osciller le sol et transformer encore une fois toute la cité en un monceau de ruines. Malheureusement l’état actuel de la science ne permet pas de prévoir et d’annoncer le retour périodique de ces terribles phénomènes ; et bien que la direction générale des oscillations du sol soit assez bien connue, la municipalité de Messine ne s’est point occupée de rectifier le plan de la ville, afin que désormais les maisons soient construites dans un sens parallèle au mouvement des ondes terrestres. Avant de prendre cette mesure, on attendra peut-être qu’une nouvelle secousse ait déblayé le terrain.

Les guerres, les bombardements, les tremblements du sol ne font que trop bien comprendre pourquoi la ville de Messine, si admirablement située pour le commerce, n’a pas acquis une beaucoup plus grande importance. Son port est le point central de la Méditerranée : d’un côté la mer d’Ionie s’étend jusqu’aux rivages de l’Orient, de l’autre, le bassin de la mer Tyrrhénienne va se réunir au golfe du Lion pour baigner les côtes de la France et de l’Espagne. Messine est donc l’étape naturelle de tous les navires qui desservent l’immense commerce maritime entre les pays de l’Europe occidentale et les contrées du Levant. La rade est d’ailleurs un excellent refuge pour les bâtiments, et les vaisseaux du plus fort tonnage peuvent y entrer sans crainte. La formation de ce havre, dont les brise-lames naturels semblent avoir été construits en pleine mer par la main de l’homme, est un phénomène géologique d’autant plus remarquable que la côte de Messine est très-abrupte et plonge dans les eaux sous un angle très-incliné. On ne peut s’expliquer l’existence de ce port et de la péninsule recourbée de la citadelle que par un effondrement du sol, ou par l’action de remous qui tournoyaient dans le canal jadis plus étroit de Charybde. Les anciens donnaient une explication plus simple. En passant en Sicile, Saturne, le père des dieux, aurait laissé tomber son immense faux au milieu des vagues ; mais, hélas ! depuis cette époque, on n’a pourtant pas cessé de mourir.

L’importance de Messine ne peut manquer de s’accroître lorsque le nord de l’Afrique, aujourd’hui en grande partie aride et dépeuplé, aura pris dans l’histoire de la terre le rôle auquel il est évidemment appelé par son heureuse situation sur les bords de la Méditerranée. Quand Port-Saïd, Benghazi, Tripoli, Tunis, Alger seront devenus, comme Alexandrie, de grands centres commerciaux, nul doute que Messine, située au milieu de l’immense réseau de toutes ces lignes de trafic tracées entre les marchés méditerranéens ne profite d’une manière étonnante de tous ces échanges. Espérons aussi que, dans un avenir plus ou moins éloigné, Messine sera la première station sicilienne du grand chemin de fer européen de Paris à Syracuse et Girgenti. Cette année ou l’année prochaine, Reggio sera le point initial d’une voie ferrée parcourant l’Italie dans toute sa longueur. Bientôt après, le réseau sicilien, complétement terminé, apportera voyageurs et marchandises sur les quais de la ville qui regarde Reggio de l’autre côté du détroit. Que restera-t-il alors à faire, sinon à jeter un viaduc entre les deux rivages opposés ? Un pareil travail, si jamais il s’accomplit, pourra certainement être considéré comme l’une des merveilles du monde ; mais il n’offre rien d’impossible puisque de hardis ingénieurs proposent déjà sérieusement de construire un pont de chemin de fer entre la France et l’Angleterre. À sa partie la moins large, le détroit de Messine offre une ouverture de 3 147 mètres environ, qu’il serait facile de rétrécir à 3 000 mètres en élevant une jetée sur le banc de sable qui continue dans la mer la pointe du Phare : c’est une œuvre qui, suivant la légende grecque, aurait été entreprise autrefois par le géant Orion. Toutefois, ce n’est point là qu’il serait praticable de faire passer le viaduc, à cause de la profondeur de l’eau qui, vers le milieu, n’a pas moins de 332 mètres ; mais plus au sud, entre le couvent de Santa-Agata et la pointe appelée Coda del Volpe (Queue de Renard), où l’ouverture du détroit est d’à peu près 3 300 mètres, la plus grande profondeur de l’eau est de 100 à 110 mètres, et d’après les meilleures cartes marines la moyenne ne dépasse pas 75 mètres. Un viaduc composé de travées de 240 mètres, comme le pont