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en oliviers, en orangers, en vignes, qui donnent d’excellents produits, s’étend autour de la ville ; les pentes des montagnes environnantes sont elles-mêmes couvertes de champs jusqu’au voisinage du sommet. Une population active de matelots et de marchands s’agite sur le port ; un grand nombre de bourgeois à la mine heureuse et placide se promènent dans les rues de la ville. Il est vrai que parmi ces derniers se mêlent plusieurs brigands de la Calabre auxquels le gouvernement a donné l’île de Lipari pour prison et qui vivent paisiblement de leurs petites rentes. On m’a dit qu’il n’y a point d’exemple que les bannis aient abusé de leur demi-liberté.

Lipari est une terre promise pour les géologues et les minéralogistes. Comme les îles voisines, elle a des volcans, des cratères, des laves d’espèces diverses, et de plus, elle présente en masses très-considérables certaines formations beaucoup plus rares dans le reste de l’archipel. Le mont della Castagna est en entier composé d’obsidienne ; une autre colline élevée, le Monte ou Campo Bianco, est composée de pierres ponces qui de loin ressemblent à des champs de neige. De longues coulées blanches, pareilles à des avalanches, remplissent toutes les ravines, du sommet de la montagne au rivage de la Méditerranée ; le moindre mouvement, causé par le pied d’un animal ou par le souffle du vent, détache de la surface du talus des centaines de pierres qui s’écroulent en bondissant jusqu’au bas de la pente et sont emportées au loin par le flot qui baigne le pied du volcan. Dans le voisinage de l’île, les eaux sont parfois couvertes de ces pierres flottantes qui ressemblent à des flocons d’écume.

Lipari a bien d’autres merveilles, sans compter la grotte de Molini, où, suivant une ancienne tradition, le diable se réfugia dans le vain espoir d’échapper au glaive de san Calogero, et d’où il s’enfuit de nouveau pour aller plonger dans le cratère de Volcano, qui est la grande porte de l’enfer. À ses diverses curiosités naturelles, Lipari ajoute le privilége d’être la mieux située pour les curieux qui veulent du haut de quelque cime se faire une idée de la distribution de toutes les îles Éoliennes. En effet, Lipari est le centre d’étoilement de trois rangées volcaniques : l’une se dirige au sud vers Volcano ; l’autre à l’ouest vers Alicudi, par Salina et Filicudi ; la troisième au nord-est, vers Stromboli, le grand phare de la Méditerranée. Je n’ai pas eu la joie de gravir ce dernier volcan ; mais je n’oublierai jamais la grande impression que j’éprouvai d’en bas à l’aspect de cette pyramide fumante. À sa forme superbe, on comprend que ses racines plongent dans la mer à des profondeurs énormes ; on voit, pour ainsi dire, les talus de débris se continuer sous les eaux jusque dans les abîmes de mille mètres que la sonde a révélés au fond de la mer Éolienne. En contemplant Stromboli, ceux qui naviguent à la base de ce pic se sentent presque suspendus au milieu du vide, comme si l’embarcation qui les porte voguait dans l’air à mi-hauteur de la montagne.

… Notre voyage de retour à Milazzo ne fut pas troublé par le moindre accident ; seulement à la hauteur du cap, les vagues brisaient avec tant de force qu’il fallut, pour le salut commun, me destituer de mon rôle de pilote et me reléguer honteusement au fond du bateau.


MESSINE.


L’octroi de Messine. — La Scala. — Vue de Messine et du détroit. — Fêtes de Messine. — La Barra. Bombardements et tremblements de terre. — Importance commerciale de Messine. — Le détroit du Phare. — Groupe de Charybde et de Scylla — Ignorance et misère. — Les méduses du port.

La route de Milazzo à Messine longe d’abord le littoral à travers des forêts d’oliviers poudreux. Çà et là se montrent quelques petites dunes couvertes de tamaris. Des villages aux constructions vulgaires et délabrées bordent le chemin, tandis qu’au loin sur les hauteurs se dressent de vieux châteaux pittoresques et des forêts démantelées. Toutefois l’horizon reste borné jusqu’au torrent del Gallo, presque toujours desséché, au delà duquel on commence à monter. Au lieu de continuer à suivre le bord de la mer, la route escalade par une série de lacets les montagnes abruptes qui se dressent à l’ouest de Messine, et développe ainsi sous les yeux des voyageurs le tableau de plus en plus étendu des rivages siciliens et de la mer de Lipari. On se trouve encore sur le versant septentrional de l’île, à une distance d’au moins dix kilomètres de Messine ; mais, si l’on en croyait le fisc, on aurait déjà fait son entrée dans la cité, car les employés de l’octroi, bravement installés au pied de la montée, examinent à loisir les chargements des voitures et les charrettes, et fouillent les passants pour voir s’ils n’ont dans leurs poches ni fromages, ni bouteilles d’huile. Une chaîne de montagnes, une région géographique tout entière sont comprises dans le district de l’octroi.

L’ascension, longue et pénible, ne dure pas moins de deux heures pour les voitures ordinaires. On dépasse la région des oliviers ; puis au delà du village de Gesso, tout hérissé de tours et de vieilles constructions du moyen âge, on contourne de profonds ravins entre des pentes couvertes de cistes et de bruyères. Pas une maison, pas un arbre, mais seulement la morne étendue des croupes brunes ou rougeâtres. Si ce n’était de la clarté du ciel et du parfum pénétrant des plantes odoriférantes, on pourrait se croire au milieu d’un paysage de l’Écosse ou de l’Irlande.

Enfin la route gagne le point culminant de la Scala, et tout change comme par enchantement. À ses pieds on voit s’ouvrir un abîme, du fond duquel jaillissent des cimes de collines pointues couronnées de pins. En bas la ville de Messine ceinte de forteresses et de couvents, se déploie sur la rive, comme un relief en miniature, et projette au milieu des eaux bleues la gracieuse péninsule en forme de faucille qui lui avait valu le nom grec de « Zancle. » Au sud, la mer d’Ionie s’étend jusqu’à l’immense rondeur de l’horizon ; au nord, le fameux détroit du Phare que, depuis le sage Ulysse, ont bravé tant de navigateurs, s’arrondit comme le méandre d’un large fleuve. Le regard l’embrasse tout